Page:Féron - La vierge d'ivoire, c1930.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
LA VIERGE D’IVOIRE

— Un congé, pourquoi ?

— Je veux chercher votre Vierge d’Ivoire, je veux la retrouver ! prononça le jeune homme avec un accent de belle énergie.

— Comment, mon ami, pourrez-vous la retrouver ? sourit avec doute M. Roussel.

— Je vais chercher et j’ai confiance, voilà tout !

— Si vous le voulez, c’est bien. Votre salaire ne sera pas suspendu.

— Pardon, monsieur Roussel, je ne veux pas recevoir d’argent que je n’aurai pas gagné ; ensuite, si je ne retrouve pas la statuette qui se trouve perdue par ma faute, je ne reviendrai pas reprendre ma place ici.

Le négociant se leva, mit une main sur l’épaule du jeune homme et prononça gravement :

— Mon garçon, retournez à votre travail, je vous refuse ce congé. Je ne compterai que sur Dieu pour me faire retrouver la Vierge d’Ivoire dans ma fille.

Philippe ne voulut pas résister, sachant de quelle autorité était trempé le caractère du négociant et sachant aussi que sa volonté ne devait jamais être contrecarrée. Mais de ce moment il se sentit très malheureux, et cette obsession s’empara de sa pensée :

— Que peut-être devenue la Vierge d’Ivoire ?


VIII

LA TROUVAILLE D’HORTENSE


La petite blanchisseuse, Hortense Deschênes, travaillait dans une buanderie de la rue Craig, et depuis le jour où Philippe était venu habiter Place Jacques-Cartier, elle avait fait route avec le jeune homme tous les matins par la rue Notre-Dame jusqu’à la côte Saint-Lambert. Maintenant, depuis que Philippe était parti pour la Place Viger, la jeune fille allait à sa besogne quotidienne seule et moins gaie. Mais, à la fin, comme toutes les amours, les siennes s’étaient peu à peu calmées ; et n’ayant pas revu Philippe Danjou, Hortense avait fini par oublier presque le jeune homme. D’ailleurs, depuis une couple de semaines, un autre jeune homme faisait chanter son cœur.

C’était un beau grand garçon blond, bien mis et l’air très poli. Ce garçon, tous les jours, croisait Hortense dans la Côte St-Lambert : elle descendait vers la rue Craig, lui montait vers la rue Saint-Jacques.

Une fois, sans trop le faire exprès — parce que leurs regards s’étaient rencontrés — la jeune fille avait souri au beau garçon blond. Lui, avait courtoisement salué la jolie brunette. Et depuis ce matin-là — un matin du mois de novembre dernier — lui avait toujours salué Hortense, et elle avait toujours souri. Plus que cela : la blanchisseuse avait même fait des dépenses pour mieux attirer les regards du beau jeune homme. Puis un jour ce jeune homme ne s’était plus trouvé sur son chemin, Hortense n’avait pas revu le gentil inconnu, et cela c’était en ce mois de décembre où nous sommes. La jeune fille avait été très peinée, et l’image du jeune homme était demeurée gravée dans sa pensée.

Un jour, ou mieux à la fin d’un après-midi, au moment où l’on faisait le nettoyage de la pièce dans laquelle Hortense travaillait avec une camarade, tout en balayant, la première aperçut sous une table, collé le long du mur, un petit objet blanc.

Elle dit à sa compagne près d’elle :

— Il y a plusieurs jours que je vois cet objet-là, et je me figure que c’est un petit bout de linge quelconque. Je le laisse parce que je ne peux l’attirer avec le balai. Cette fois, je suis trop curieuse de savoir ce que c’est, car il ne m’a plus l’air d’un linge.

Sitôt dit, elle se glissa sous la table et d’une main rapide saisit le petit objet.

En se relevant elle fit entendre une exclamation de surprise.

— Tiens, Jeanne, vois donc ça, c’est une statuette de la Vierge !

— Mais oui, c’est vrai. Comment s’est-elle trouvée là ?

— Elle aura été égarée dans un papier à linge et elle sera tombée là.

— C’est en ivoire, cela ?

— Oui, c’est une petite Vierge d’Ivoire ; ça doit être rare !