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LA VIERGE D’IVOIRE

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— Je serais curieuse de savoir qui l’a perdue.

— Il n’est pas facile de le savoir, il entre ici des centaines de paniers. Et comme c’est moi qui l’ai trouvée, je la garde. Qui sait ? ça pourrait peut-être me porter bonheur !

— C’est vrai, se mit à rire l’autre jeune fille, tu vas te promener aux États-Unis et tu pourrais bien y faire une belle rencontre !

Hortense joignit son rire à celui de sa compagne, et toutes deux poursuivirent leur besogne.

Quelques jours après Hortense Deschênes partait pour Burlington, dans l’État du Vermont, où elle allait passer quinze jours de vacances. Elle avait dans cette ville américaine une amie dont elle avait été la compagne de travail à cette même buanderie de la rue Craig. Mais Hortense — oh ! elle ne l’avait pas dit — n’allait pas à Burlington uniquement pour le plaisir de se promener, non. Son amie lui avait écrit qu’à Burlington il y avait beaucoup de travail et que ça payait bien mieux qu’à Montréal. Elle avait en même temps suggéré à Hortense l’idée de venir se choisir une place, lui affirmant qu’elle pourrait facilement gagner vingt piastres par semaine. C’était tentatif, et Hortense, qui ne gagnait que dix dollars à la buanderie, décida de suivre le conseil de son amie.

Elle partit donc dans les huit jours qui précédèrent la fête de Noël.

À Burlington, malheureusement, Hortense ne réussit pas à trouver un emploi de suite, et l’on ne pouvait rien lui promettre avant le milieu de janvier. C’était un mois d’attente, et sans certitude encore ! Qu’importe ! Hortense décida d’attendre, elle avait assez d’argent pour vivre en attendant ce milieu janvier, d’autant mieux que son amie lui offrit de partager son lit. Tout était donc pour le mieux.

La veille de Noël, dans l’après-midi, Hortense se rendit sur la grande rue commerciale de la ville avec le dessein d’acheter quelques menus cadeaux de Noël. Elle faillit perdre connaissance en se voyant tout à coup accostée par un beau jeune homme qui lui dit avec une grande politesse :

— Je vous demande pardon, mademoiselle, de vous aborder ainsi ; mais je vous ai trop vue à Montréal pour passer avec indifférence à vos côtés. Ne me reconnaissez-vous pas également ?

— Certainement, monsieur.

— Vous avez donc quitté Montréal ?

— Non pour toujours, je suis en promenade à Burlington.

— Vraiment, mademoiselle

— Hortense Deschênes, compléta la jeune fille.

— Mademoiselle, je m’appelle Fernand Drolet.

— Vous habitez Burlington maintenant ?

— Non… comme vous je suis en promenade. J’ai ici un oncle, un frère de mon père.

Et par un commun accord les deux jeunes gens s’étaient mis à marcher bras dessus, bras dessous, et tous deux causaient gaiement comme de vieux amis. Ils ne se séparèrent que sur la fin du jour, promettant de se revoir tous deux.

Ils se revirent si bien que, quinze jours plus tard, Hortense et Fernand étaient follement épris l’un de l’autre.

Mais était-il possible que Fernand Drolet eût déjà oublié celle qu’il avait tant aimée, c’est-à-dire Lysiane ?

Eh bien, oui ! Fernand, ayant perdu tout espoir, ne conservait plus qu’un vague souvenir de celle qu’il mettait au rang des trépassés. Et son souvenir s’était d’autant plus détaché de Lysiane, que son père lui avait écrit ces lignes :

Tu peux revenir à Montréal. La fille de M. Roussel n’est pas morte encore, mais c’est tout comme, tu n’as plus d’espoir à conserver. Je te conseille donc, pour mieux éteindre ta douleur, de chercher une autre jeune fille qui t’aidera à oublier celle qui n’appartient plus à ce monde, et qui sera peut-être dans l’autre, quand cette lettre te parviendra. Tu ne peux pas vivre ainsi toujours, et l’heure a sonné pour toi de songer à te créer un foyer. Reviens donc !

Il faut dire que si le père de Fernand donnait au jeune homme de tels