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LA VIERGE D’IVOIRE

Tant qu’elle put apercevoir le fiacre, la jeune fille demeura là, immobile, le sein palpitant, les yeux désorbités, indifférente aux passants qui la regardaient avec curiosité.

Tout à coup une voix de femme prononça tout près d’elle :

— Mamzelle Hortense, il est parti donc ?

Hortense frémit, pirouetta et se trouva face à face avec sa maîtresse de pension.

— Oui, madame Larose, il est parti ! Oh ! ce que je vais être malheureuse

Elle se mit à pleurer doucement et, soutenue de la brave femme, elle regagna, sa chambre.

En montant dans le fiacre Fernand Drolet avait crié au cocher :

Rue Sainte-Famille… et vite !

Le cocher ne se fit pas répéter cet ordre. Il fouetta vigoureusement son cheval et le lança au grand trot.

C’était le samedi, dans l’après-diner.

La camériste de Mme Roussel vint ouvrir la porte à Fernand et l’introduisit dans le salon.

Sur le seuil de la porte le jeune homme s’arrêta brusquement. Un moment il parut tituber et ses mains cherchèrent un appui. Mais il se raidit aussitôt et ses regards, comme remplis de folie, passaient en revue les personnages qui se trouvaient réunis dans cette pièce.

Il aperçut d’abord M. Roussel et Philippe Danjou. Les deux hommes, un peu à l’écart, demeuraient debout et paraissaient causer avec animation. Naturellement à l’apparition de Fernand, tous deux demeurèrent muets de surprise.

Puis le regard de Fernand se posa sur une silhouette pâle, délicate et souriante, à demi étendue sur une chaise-longue : c’était Lysiane. Près de la jeune fille, Mme Roussel demeurait assise.

Devant ces quatre personnages muets et qui le regardaient comme avec stupeur, Fernand demeurait bouche béante, chancelant, excessivement pâle, n’osant ni avancer ni reculer.

— Approchez donc ! commanda tout à coup une voix douce bien connue.

Oui… il reconnaissait cette voix qui lui avait été si chère un jour… la voix de Lysiane ! Mais n’était-ce pas une voix d’outre-tombe plutôt ? Ou bien n’était-il pas la proie de quelque terrible cauchemar ?

Il bégaya ces paroles :

— Ah ! vous n’êtes pas morte !

— Non, comme vous voyez. Mais je suis encore un peu faible ; cependant je pense que dans huit jours je serai tout à fait sur pied.

Fernand la regarda encore !

Non… jamais il ne l’avait vu aussi jolie, aussi mignonne, aussi séduisante ! Il sentit quelque chose dans le fond de son cœur qui lui fit horriblement mal. Des pleurs irrésistibles affluèrent à ses yeux, mais il réussit à les refouler.

Puis instinctivement il essaya quelques pas en avant. Mais alors il se trouva devant Philippe qu’il se prit à considérer curieusement.

Lysiane sourit doucement et prononça :

— Fernand, vous ne connaissez peut-être pas monsieur Philippe Danjou… mon fiancé ?

Son fiancé !…

Fernand tour à tour considéra Lysiane puis Philippe.

Celui-ci était pâle.

— Monsieur Drolet, articula gravement Lysiane, donnez lui votre main, puisque c’est un ami !

Philippe tendit sa main au jeune homme.

Mais celui-ci fit un bond en arrière, comme s’il eût été saisi par une épouvante quelconque, murmura quelque chose d’incompréhensible, jeta un regard fou à Lysiane et comme un homme très ivre il s’en alla.

Avant qu’on eût songé à le retenir, il était dehors et remontait dans son fiacre.

— Pauvre garçon ! murmura Mme Roussel, qui, comme son mari, avait assisté à cette scène le cœur débordant d’émotion.

Lysiane sourit à Philippe, lui tendit sa main que le jeune homme s’empressa de prendre et dit :

— Ainsi donc, mon père, vous ma mère, vous, Philippe, c’est pour Pâques ?