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Page:Féron - La vierge d'ivoire, c1930.djvu/5

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LA VIERGE D’IVOIRE

ces yeux exprimaient des sentiments de loyauté et de douceur.

Mais ployant sous quelque terrible fardeau de misère, ce jeune homme présentait à ce moment une physionomie bien lamentable.

Il marchait du côté de la Place d’Armes.

Quand il fut arrivé devant l’église Notre-Dame, il s’arrêta et parut très indécis sur la direction à prendre. Il promena autour de lui un regard timide, puis, pour obéir à une idée nouvelle peut-être, il traversa la chaussée et s’engagea dans une allée de la Place d’Armes en allant vers la rue Saint-Jacques. Lorsqu’il eut dépassé de quelques pas le monument de Maisonneuve qui se dresse au centre de la Place, le jeune homme s’arrêta tout à coup, et ses yeux fixèrent curieusement un petit objet blanc qui gisait au bord de l’allée dans l’herbe roussie par les gelées d’automne.

Il se baissa, ramassa l’objet et jeta autour de lui un regard scrutateur, comme pour s’assurer que personne n’avait remarqué son action. Non, personne n’était là ; et les piétons qui allaient en tous sens sur la rue Notre-Dame ou sur la rue Saint-Jacques, avaient bien d’autres choses à faire ou à penser que de s’intéresser à cet inconnu ou à ce gueux.

Le jeune homme poursuivit son chemin, lentement toujours, tout en examinant avec curiosité l’objet qu’il venait de trouver et qu’il conservait dans le creux de sa main.

C’était un petit bout d’ivoire long de trois pouces environ et ayant à peu près un quart de pouce de diamètre. Ce petit bout d’ivoire était finement ciselé, et la ciselure représentait la Vierge Marie debout sur un globe, ses pieds écrasant un serpent, ses mains croisées sur sa poitrine, les yeux levés au ciel et un sourire d’extase sur ses lèvres. C’était une statuette d’ivoire.

À l’instant où le jeune homme mettait les pieds sur la rue Saint-Jacques, il glissa la statuette dans l’une de ses poches. Puis il traversa la chaussée vis-à-vis de la Banque de Montréal et prit la direction de l’Ouest.

Comme il passait devant l’Hôtel des Postes, il entendit une voix l’interpeller.

— Hé ! Philippe, où vas-tu ainsi ?

Le jeune homme s’arrêta brusquement, tourna la tête et vit à trois pas un garçon bien mis qui lui souriait.

— Ah ! Fernand… Comment vas-tu ?

— Bien, merci. Mais toi-même ?… Tu ne m’as pas l’air tout à fait heureux ! N’as-tu pas trouvé un emploi ?

— Rien, mon cher ami. C’est désespérant !

Et Philippe Danjou soupira atrocement.

L’autre exprima des paroles de compassion.

— Mon pauvre Philippe, j’ai tout essayé pour te trouver quelque chose ; mais les personnels sont au complet partout.

— C’est ce qu’on me dit là où je me présente, Fernand. Merci tout de même pour la bonne sympathie que tu as pour moi, je n’oublierai pas cela.

— Écoute, Philippe, si tu n’es pas difficile, tu pourrais toujours trouver une place chez un gros négociant de la rue Saint-Paul qui, hier, demandait un employé pour la livraison.

Philippe Danjou rougit violemment et s’écria avec un air de reproche :

— Comment ! tu sais qu’on a besoin d’un employé chez un négociant, et tu ne me le dis pas !

— Je te pensais difficile.

— Difficile, moi… es-tu fou ? Dans la situation où je me trouve… Non, non !… Et c’est la Providence qui te met sur ma route. Dis-moi le nom du négociant !

— Monsieur Roussel.

— Monsieur Roussel ? J’y cours pour ne pas manquer cette bonne chance. Je te reverrai plus tard, merci !

Philippe Danjou, animé par l’espoir, se dirigea rapidement vers la rue Saint-Paul.

Un quart d’heure après, il était introduit dans le bureau du négociant.

Il dit son nom et s’excusa de sa mise négligée, expliquant qu’il était sans emploi depuis trois longs mois, et mit le