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LE DRAPEAU BLANC

Oui, Marguerite, en apprenant la trame ourdie pour la perte de Québec, avait de suite pensé à Jean Vaucourt, à Jean Vaucourt qui ne manquerait pas de prendre les mesures nécessaires pour faire avorter la trame terrible.

Elle commanda immédiatement la calèche qui avait amené de Loys à l’hôpital, et, peu après, elle volait pour ainsi dire vers l’habitation du milicien Aubray, où elle espérait trouver le capitaine Vaucourt.


— III —

LA RENCONTRE QUE FIT LE PÈRE CROQUELIN


Bien que le milicien Aubray fut blessé et, à l’hôpital, la joie régnait à son foyer où sa femme venait de ravoir son petit, que les deux grenadiers, Pertuluis et Regaudin, lui avaient enlevé un soir par méprise, et que Flambard avait retrouvé sur le bord d’un sentier ce jour du 13 septembre. La mère couvrait son petit de caresses folles, et elle se sentait heureuse au point de redouter d’en perdre la raison. Elle était entourée de Jean Vaucourt et de sa femme, dont l’enfant dormait dans un berceau, de Rose Peluchet, de l’ancien mendiant Croquelin et du père Aubray. Et tous se réjouissaient du bonheur de la jeune mère.

Sur cette joie pourtant flottait une inquiétude : le départ de l’armée !

Jean Vaucourt venait de recevoir l’ordre de se rapporter au quartier général de M. de Vaudreuil, où un conseil militaire allait être tenu pour décider de la retraite de l’armée vers la rivière Jacques-Cartier.

Héloïse, la femme de Jean Vaucourt, et la femme d’Aubray s’étaient, écriées :

— Et nous, si l’armée abandonne le pays aux Anglais, qu’allons-nous devenir ?

— Vous nous suivrez, répondit le capitaine.

Et il s’était rendu à Beauport où, comme nous le savons, le conseil militaire avait décidé d’ordonner la retraite de l’armée vers la rivière Jacques-Cartier. L’ordre de lever le camp avait de suite été donné, et dès les neuf heures de ce même soir, les premières compagnies postées sur les bords de la rivière Saint-Charles prenaient la route de la Lorette.

Le capitaine Vaucourt était précipitamment revenu chez les Aubray pour informer sa femme de la décision du conseil, et pour lui annoncer qu’il allait prendre le commandement de cinq compagnies de milices. Il faut dire ici que près de cinq cents miliciens refusèrent de suivre l’armée, pour ne pas abandonner leurs foyers. Ces miliciens étaient des paysans qui habitaient les rives nord et sud du fleuve au-dessous de Québec, et partir avec l’armée c’eût été abandonner leurs familles sans protection aux fureurs d’un ennemi qui les avait déjà fait trop souffrir, qui avait incendié leurs maisons et saccagé leurs propriétés. Et combien de ces pauvres miliciens, paysans-soldats, allaient retrouver leurs femmes et leurs enfants sans abri, réfugiés dans les bois et sur le penchant des montagnes, au moment où l’hiver s’annonçait ! Vaudreuil avait bien essayé d’empêcher cette désertion, il en avait été incapable ! Les miliciens avaient dit :

— L’armée nous abandonne, nous l’abandonnons !

Il ne resta dans le camp de Beauport que les milices des Trois-Rivières et celles de Montréal. Celles-ci furent mises sous les ordres du capitaine Rhéaume, celles de Trois-Rivières furent confiées au capitaine Jean Vaucourt. Nous savons que les commandants de ces dernières milices, de Fontbonne et de Saint-Ours, avaient été, le premier tué sur le champ de bataille, et le second, grièvement blessé. Or, Jean Vaucourt n’avait pas voulu quitter Beauport sans aller prévenir sa femme et assurer sa sécurité ; aussi avait-il confié le commandement. à un lieutenant en lui assurant qu’il le rejoindrait dans la nuit sur la route.

Le premier soin du capitaine fut d’ordonner des préparatifs de départ à sa femme et à la famille Aubray.

— Père Croquelin, dit-il à l’ancien mendiant, il faut que vous trouviez coûte que coûte une berline pour transporter notre monde. Il vous restera pour vous et le père Aubray le cabriolet.

— Bien, capitaine, répondit le père Croquelin. Dans une heure j’aurai trouvé une berline… quand je devrais vous ramener l’une des superbes berlines de Monsieur Bigot.

Il partit immédiatement pour le faubourg où il espérait trouver un loueur.

Chemin faisant il croisa une calèche ; mais il faisait si noir et l’attelage allait si