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LE DRAPEAU BLANC

avait donc pris plaisir à lancer au vieux paysan-aubergiste cette brutale boutade.

Ayant rejoint ses gens, il se concerta immédiatement avec eux, et il fut résolu que quatre gardes poursuivraient la chasse à Flambard, au cas où ce dernier serait passé inaperçu, et que Foissan et les six autres se posteraient en embuscade pour attendre le spadassin si, par aventure, il n’était pas encore passé.

La cavalcade poursuivit son chemin sur un parcours d’environ un mille et s’arrêta au fond d’un profond ravin où un pont étroit avait été jeté sur un ruisseau. Quatre des gardes, tel que convenu, continuèrent leur route dans l’espoir de rattraper Flambard, les six autres avec Foissan demeurèrent à la sortie du pont pour attendre le spadassin. Une corde solide fut tendue en travers du pont à hauteur d’un poitrail de cheval et les gardes se postèrent de l’autre côté, chacun étant armé d’un pistolet et d’une rapière.

L’endroit était avantageux pour un guet-apens : l’obscurité était très dense dans ce bas-fond où la route descendait par une pente abrupte ; un attelage ou un cavalier devait nécessairement ralentir sa course avant de s’engager dans la pente. Et si Flambard survenait, le câble tendu arrêterait son cheval, les gardes feraient feu de leurs pistolets sur le cavalier et sa monture ; si les balles ne produisaient pas par extraordinaire un effet meurtrier, les gardes pourraient se jeter à l’improviste sur l’homme et la bête et les achever de leurs rapières. C’est le plan qu’avait conçu Foissan qui, les préparatifs terminés, avait tenu à ses hommes ce petit discours :

— Mes amis, lorsque Flambard viendra buter contre le câble, nous déchargerons nos pistolets sur sa monture, puis nous nous jetterons sur lui avec nos rapières. Autant que possible nous éviterons de lui porter un coup mortel ; car ça nous vaudra mieux de le blesser suffisamment pour le rendre incapable de se défendre, puis de le désarmer et le faire prisonnier. Alors nous le conduirons, pieds et poings liés, à Monsieur l’intendant qui nous donnera à chacun mille livres d’or.

Les gardes parurent fort satisfaits de cette promesse de mille livres, et résolurent de tout faire pour les gagner. Et malgré le froid qui engourdissait leurs doigts, ils attendirent patiemment.

Un quart d’heure s’écoula.

La nuit silencieuse n’était troublée que par une rumeur lointaine venant de la Lorette, et c’était l’écho assourdi de cahotements de chariots et de la marche de l’armée française qui quittait Beauport.

À cette rumeur se joignit peu après un galop de cheval qui, d’abord incertain, se précisa peu à peu.

— Entendez-vous ? demanda Foissan à ses hommes.

Ceux-ci s’entre-regardèrent en esquissant un sourire content.

— C’est bien un cavalier qui s’approche ! proféra l’un des gardes.

— Et quelque chose me dit que c’est notre Flambard ! ajouta Foissan.

Le galop se rapprochait rapidement. Il dominait à présent la rumeur lointaine. À entendre le claquement des sabots du coursier, claquement qui résonnait par chocs secs dans les échos tranquilles des bois qui couvraient les coteaux voisins, on devinait que le cavalier allait à toute vitesse. Et Foissan calcula que ce cavalier venait de dépasser Saint-Augustin.

— Attention ! souffla-t-il à ses gardes.

Les pistolets se haussèrent, les rapières bruirent doucement dans les ténèbres épaisses du bas-fond.

Quelques minutes se passèrent ainsi. Puis en haut du ravin où les ténèbres, légèrement blanchies par les aurores boréales, étaient moins denses, la silhouette d’un cavalier se détacha imprécisément. Le galop retentit plus fortement, une voix nasillante jeta quelques paroles indistinctes à la bête qui de suite ralentit sa course, et l’instant d’après le cavalier et sa monture s’engageaient au petit trot dans la pente du ravin. Le cavalier disparut tout à coup aux yeux des gardes, dérobé à leur vue qu’il était par les buissons épais qui garnissaient la pente du ravin. Mais ils entendaient très distinctement les sabots du cheval et le halètement de son poitrail. Soudain, l’une des montures des gardes, que ceux-ci avaient attachées dans les fourrés du voisinage, fit entendre un long hennissement. Un autre hennissement répondit : celui du coursier qui portait le cavalier.

Foissan ne put s’empêcher de murmurer un juron de colère : car ce hennissement pouvait les trahir lui et ses gardes.

Mais déjà l’ombre du cavalier se profilait de nouveau à l’entrée du pont. Les