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Page:Fétis - Biographie universelle des musiciens, t1.djvu/197

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DE L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE

temps des croisades, peut se démontrer par les exercices pour les diverses espèces de violes qu’on voit dans le traité de musique de Jérôme de Moravie, ouvrage daté de 1260. Là se trouvent plusieurs sortes de groupes, d’appogiatures et de trilles, absolument identiques avec ceux de la musique arabe. Le manuscrit de cet ouvrage est à la Bibliothèque royale de Paris (no 1817, fonds de la Sorbonne).

Que s’il pouvait y avoir quelque doute sur l’emprunt de ces ornemens fait à la musique orientale, par les croisés, je ferais remarquer que ceux-ci ont rapporté de l’Orient les instrumens qui, depuis le douzième siècle, ont été cultivés avec le plus de succès en Europe, et que ces instrumens avaient même conservé leurs noms arabes. J’ai fait voir tout cela par des titres authentiques dans divers articles de la Revue musicale (année 1832). Il est raisonnable de croire que le succès de ces nouveautés en Europe était fondé sur le goût qu’on avait alors pour ce qui venait de l’Orient. La musique n’est pas d’ailleurs la seule chose qui ait été modifiée par les rapports des croisés avec les Musulmans : on sait que les mathématiques, la philosophie, la médecine et l’astrologie judiciaire furent en quelque sorte des sciences nouvelles que

    certains traits de tradition qui, à diverses époques, se sont introduits dans l’exécution de la musique. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce n’est ni au seizième siècle ni même au quinzième que les ornemens se sont introduits dans l’église, mais bien dès la fin du treizième, ou au plus tard au commencement du suivant. S’il n’en était pas ainsi, les paroles de la bulle de Jean XXII n’auraient point de sens. Ce n’est pas l’harmonie que ce pape veut proscrire ; il l’autorise aux grandes fêtes, pourvu que le plain-chant conserve son intégrité : Ut ipsius cantus (ecclesiasticus) integritas illabata permanent. Or, qu’est-ce qui altérait l’intégrité du chant ? La bulle nous le dit encore : c’était la multitude des notes ascendantes et descendantes : Cum ex earum multitudine notarum ascensiones pudicœ, descensionesque temperatœ plani cantus, quibus toni ipsi discernuntur ab invicem, obfuscentur.
    M. l’abbé Baini assure (p. 85, no 127) que Jean Luc Conforti, admis parmi les chapelains chanteurs de la chapelle pontificale, le 4 novembre 1591, fut le premier qui renouvela le trille des anciens, inconnu, dit-il, aux chanteurs des quinzième et seizième siècles, et il cite à l’appui de ce fait le témoignage de Thomas Aceti cité par Gabriel Bari. Je renverrai, pour la réponse à cette assertion, à la note précédente.
    J’aurais bien des observations à faire sur tout ce que dit M. l’abbé Baini concernant ce sujet, mais l’espace me manque. Je ferai seulement observer que tous les savans qui ont parlé de ces choses se sont trompés, n’ayant connu ni le caractère principal de la musique de l’Orient, ni les rapports qui s’établirent entre elle et la musique de l’Europe dans les douzième et treizième siècles.