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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/231

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phaël ou simplement vitriers de l’école Quatrezieux.

Quand le tapage quotidien et normal eut assez duré, Gondrequin-Militaire appela solennellement :

— Monsieur Baruque Rudaupoil !

— Plaît-il ? demanda le second lieutenant ; il me semble qu’une voix a murmuré mon nom !

— Le temps fuit, car il a des ailes, répondit Militaire. Sonnez la cloche.

M. Baruque, déposant sa palette et son pinceau, emmanché de long comme un balai, dit :

— Din-don, din-don ! c’est la cloche, à cette fin qu’on prenne sa nourriture librement, chacun pouvant en allumer une à sa volonté et bavarder entre soi, sans se fâcher. Rompez les rangs ! À la soupe !… qu’on l’augmente aujourd’hui spécialement du quart d’heure de grâce quotidien à cause de la fête de M. Cœur. Eh ! là-bas ! En avant, les bidons !

Ce discours, religieusement écouté, fut suivi d’un tumulte inexprimable. L’atelier tout entier, officiers, caporaux, soldats et modèles, se débanda bruyamment comme font les enfants après la classe finie. Aucun pays sur la carte humaine n’a des bas-fonds si étranges, des cavernes si profondes, des ravines si perdues que cette lumineuse contrée qu’on appelle l’art. L’art est un géant dont le front noble reçoit en plein les rayons du soleil, mais dont les pieds invisibles trempent on ne sait où, dans des océans de misères. Est-ce encore l’art ? demandera-t-on. Et ces pieds appartiennent-ils réellement à cette tête ? Je penche à le croire. Voyez la distance qui sépare le comédien-étoile de la pauvre litière humaine, les comparses, sur laquelle on le sert, comme un superbe coq de bruyère sur de la chair hachée. Rien ne ressemble tant à l’atelier Cœur-d’Acier que ce bizarre troupeau des comparses, incessamment foulé aux pieds, et vivant d’orgueil, pourtant, prodigieux mystère ! L’art est l’art, en bas comme en haut, et la vanité, sang de ce grand corps, descend à l’extré-