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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/232

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mité la plus infime de ses tristes orteils.

Le savetier, cette moquerie de la pêche parisienne, cette petite bête non mangeable qui grouille dans la glaise du canal de l’Ourcq, est un poisson comme le bar argenté, comme le saumon aux formes magnifiques, comme la lamproie semée de pourpre, et comme le gigantesque esturgeon.

Le barbet crotté est un chien comme le noble blood-hound qu’on prime à l’exposition.

Le barbet est même un bon chien, — et dans ce lamentable pays, qui est le sous-sol de l’art, vous rencontrerez souvent un bon cœur.

C’étaient des artistes, ces esclaves à vingt-cinq sous pièce. Ils s’étaient fait artistes, parce que la carrière de l’art est libre par excellence. On les commandait comme des enfants à l’école, mais qu’importe cela ? Ils étaient libres, puisqu’ils ne faisaient rien d’utile !

Chacun alla à son coin. Il y avait des multitudes de coins. Dans chaque coin, derrière des loques amoncelées, sous les bûches destinées au poêle, entre les châssis et les murs, partout enfin, quelque provende à l’odeur forte, au goût poivré, était cachée. L’art pauvre ne se nourrit pas comme le travail indigent. L’art a besoin de luxe toujours, et les épices sont le luxe de la misère.

Tout le monde eut bientôt son journal et sa bouteille. Le journal est l’assiette offerte à l’art par la civilisation : l’assiette et le buffet. De tous ces journaux, bourrés d’esprit, de politique et de littérature, cent parfums redoutables surgirent, parmi lesquels dominait le flair austère et mâle de l’ail. Horace, le cher poète, a fulminé contre l’ail de furieuses imprécations ; je n’oserais défendre l’ail contre Horace, et cependant l’ail est bien nécessaire à l’art.

En un instant, les journaux dépliés répandirent dans l’atelier une épaisse atmosphère d’ail ; ils sentaient tous l’ail uniformément : le Siècle, tout jeune alors, la Presse, sa sœur aînée, préludant à cette