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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/268

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second clerc, était un gaillard lettré, écrivant dans le journal de son département. Nous pouvons affirmer, sans déprécier son talent peu connu, que jamais scène émouvante d’aucune de ses nouvelles n’avait frappé l’abonné provincial comme ces deux lignes impressionnèrent celui qui les lisait.

Roland resta d’abord les yeux fixés sur la tête imprimée, lisant l’adresse et le nom avec une stupéfaction profonde.

« Léon Malevoy, — rue Cassette, no 3 ! »

Quand une existence a été tranchée à son milieu, tout ce qui avoisine la blessure demeure sensible et douloureux toujours. Les moindres événements de cette soirée du mardi-gras étaient gravés en traits indélébiles dans le souvenir de Roland. Sa mémoire pouvait faillir ou s’envelopper d’une brume, après le coup de poignard reçu, mais tout ce qui précédait le coup de poignard était net, profond, cuisant comme une marque de fer rouge. Il eût répété les paroles de sa mère, lors de son départ, il eût peint ressemblant son pauvre dernier sourire. L’aspect de la ville en carnaval était devant ses yeux, le son burlesque des trompes restait dans ses oreilles.

« Rue Cassette, no 3 ! » disait la tête de lettre. Roland se vit traversant le carrefour de la Croix-Rouge et arrivant à la porte cochère de ce no 3 qui logeait alors l’étude Deban. C’était là le but de sa course ; les 20,000 francs devaient acheter ici même l’acte de naissance, l’acte de mariage, l’acte de décès.

Roland se vit devant la loge du concierge qui ricanait en prononçant le nom de M. Deban.

Il se vit regardant cette bizarre façade, et montant cet escalier dont chaque étage demandait : Quelle heure est-il ?

Il se vit au dernier étage, enfonçant une porte, et face à face avec ce beau jeune homme qui portait le costume de Buridan. Il vit sur le pied du lit le madras de Marguerite, et son cœur lui fit mal comme si on eût rouvert brutalement une ancienne blessure.

« L’Étude de maître Léon de Malevoy », di-