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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/353

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1814, il y avait un général duc de Clare qui commandait une division à Montmirail : c’était Raymond, tandis qu’un autre général de Clare attendait près du roi Louis XVIII, à Hartwell : c’était Guillaume.

L’abdication de Fontainebleau brisa l’épée de Raymond et rouvrit à Guillaume les portes de la patrie.

Il y avait de longues années que les deux frères ne s’étaient rencontrés.

Tout ce que je viens de te dire, ma sœur, est la préface indispensable du récit de la mère Françoise-d’Assise. Voici maintenant le récit.

Le 6 avril 1814, un mois environ après le retour de l’empereur, nous trouvons le général duc Raymond de Clare à son château de la Nau-Fabas, situé à peu de distance de la frontière de Savoie, en la paroisse de Pontcharra. Une blessure grave, reçue au début même de la campagne des Cent-Jours, le retenait loin des champs de bataille où se jouait le va-tout de l’Empire.

C’était un soir. Il y avait de l’orage dans la montagne, et l’on entendait parfois au loin des coups de feu, mêlés aux échos du tonnerre, car la gendarmerie de Grenoble poursuivait un corps de royalistes dans les gorges qui sont en avant de Cheylas.

Raymond, demi-couché sur une chaise longue, avait les mains dans celles de la jeune duchesse de Clare, sa femme, et regardait jouer sur le tapis un chérubin de deux ou trois ans, qui était son fils Roland.

Le général était jeune encore, et très beau ; j’ai vu son portrait, peint vers ce temps-là, entre les mains de la mère Françoise d’Assise. Il avait épousé par amour, quatre ans auparavant, une fille de petite noblesse, en ce même pays dauphinois. Sa femme était presque une enfant, par l’âge, et plus encore par l’ignorance du monde, car elle n’avait jamais quitté sa famille, habitant la partie la plus retirée du val de Graisivaudan. Elle adorait son mari comme un dieu. La mère Françoise d’Assise, en parlant d’elle, après tant d’années écoulées, avait les larmes aux yeux, — ces