Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/462

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c’est la première fois que je lui vois le délire !

Ses beaux yeux étaient pleins de larmes : toujours de vraies larmes.

— Il m’a dit… poursuivit-elle d’une voix étouffée par les sanglots.

Mais elle n’acheva pas et serra fortement la main du médecin en balbutiant :

— Nous étions un ménage d’amour, Monsieur Lenoir, onze années de bonheur pour arriver à ce dénouement horrible… horrible ! Ce malheureux va mourir fou ; ne t’impatiente pas, bon ami, s’interrompit-elle. Je t’apporterai moi-même la potion. Ah ! Monsieur Lenoir, si vous pouviez lire dans mon cœur !

Sa main pressa encore une fois celle du docteur, et elle sortit.

Le comte attendit un instant, puis il ouvrit ses yeux agrandis et caves :

— Mettez-vous près de moi, docteur, je vous prie, dit-il. Tout près.

M. Lenoir prit son siège et le rapprocha. Le malade poursuivit, comme on songe tout haut :

— Elle va apporter la potion… elle-même !

— Elle l’a promis, répliqua le docteur.

— Elle-même ! répéta le malade qui regardait le vide fixement.

— Préféreriez-vous que la potion fût apportée par un autre ? demanda M. Lenoir.

Le malade ne répondit point.

— Il me semble, dit-il tout à coup, que si je revoyais le vieux pays, là-bas, autour du manoir… la grande cour mouillée où ma mère venait jeter le pain aux poules… l’avenue au bout de laquelle était la croix… les champs étroits et bordés de haies énormes qui font ressembler de loin toute la paroisse à une forêt, et qui vont, descendant la montée jusqu’aux prés noyés, le long de la rivière ; il me semble que je respirerais, que j’espérerais, que je vivrais !

— L’air natal produit cet effet, parfois, repartit le docteur. Quel est votre pays ?

— La Bretagne.