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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/499

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les contre-glaces, afin que je me voie par-derrière… Bien ! cette affaire doit se présenter au public sous la forme d’une énigme inextricable : c’est nécessaire… L’écharpe qui tombe de mes tresses descend trop bas ; fixez-la à gauche, près de ma ceinture. Vous êtes-vous piqué, pauvre Annibal ?… J’ai besoin, pour en revenir à nos moutons, j’ai besoin d’un imposteur solennellement démasqué : ce garçon sera l’imposteur… démasqué.

— Le prince Policeni ?

— Fils d’un ancien piqueur du duc Guillaume, et qui, par conséquent, peut connaître tous les secrets de la maison, et en abuser.

Les yeux d’Annibal s’ouvrirent tout grands.

— Et M. Cœur ? fit-il.

— Quand vous avez parlé de lui et du notaire, prononça très bas Marguerite, j’ai cru que vous aviez deviné… N’aviez-vous pas deviné ?

Annibal disposait les plis du voile.

— C’est une machine de la force de cent chevaux, murmura-t-il, dont les courroies sont des fils d’araignée ! J’ai le vertige.

— Les filets de Vulcain qui prirent le dieu Mars en personne, répondit Marguerite d’un ton léger, étaient, dit-on, faits ainsi. N’ayez pas d’inquiétude pour ce qui me regarde. Avec vingt brins de soie, tressés convenablement, on étranglerait un géant. Tout autre que moi, peut-être, se perdrait parmi ces fils ; pour moi, ce n’est qu’un jeu… Et mettez, s’il vous plaît, vos yeux dans mes yeux, Annibal : vous êtes le duc de Clare ; je vous le dis tout simplement et sans jurer sur ceci ou sur cela. Nous n’avons, ni l’un ni l’autre, rien de sacré sur quoi nous puissions jurer ou croire. Vous êtes le duc de Clare ! le seul possible, au moins, en tant que je serai, moi, la duchesse de Clare. Je vous ai choisi entre tous, parce que je vous connais, parce que vous me connaissez, parce qu’il n’y a pas au monde en dehors de vous un homme que je méprise assez pour lui donner une apparence de droit sur moi. Me croyez-vous ?

Ses grands yeux étaient clos à demi et ses narines délicates enflaient leurs ailes mobiles.