Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/73

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La gorge de Joulou rendit un rugissement de rage.

— Tire ton couteau ! cria-t-il. Ne plaisantons plus, garçon, c’est bien à toi que j’en veux. Tire ton couteau !

Roland remit froidement le banc entre lui et son adversaire déjà relevé ; Joulou revint à la charge avec un acharnement de bête fauve. Roland dégaina enfin la dague pour rire qu’il portait à sa ceinture.

Mais il n’avait d’autre pensée que d’échapper à ce furieux. Des chants venaient par la rue Campagne-Première qui débouchait à quelques pas de là et qui n’était alors qu’une ruelle non pavée, servant de chemin-charretier. C’était dans cette ruelle que s’ouvrait l’entrée principale du cabaret de la Tour de Nesle.

Roland allait à reculons. Par deux fois, Joulou put le joindre et fut terrassé, malgré sa brutale vigueur et l’habitude qu’il avait de la lutte. La troisième fois, au coin de la rue Campagne-Première, et comme Roland voyait déjà les lumières de la guinguette qu’il s’était désignée à lui-même comme un refuge, son pied toucha une « glissade » préparée par les enfants du quartier, et qu’il n’avait pas aperçue dans l’ombre. Il trébucha et tomba.

Joulou se jeta sur lui avec un hurlement de loup. Il lui donna de sa dague au travers de la poitrine si furieusement que le couteau entier disparut dans la blessure et que le sang chaud, jaillissant à sa face, comme s’il eût percé une outre, l’aveugla.

Roland ne poussa qu’un cri, bref et déchirant.

Là-haut, sur le balcon, Marguerite s’affaissa, puis se traîna dans le salon.

À ce moment, la porte de la Tour de Nesle s’ouvrait et une bande joyeuse sortait en chantant.

À l’autre extrémité du boulevard, vers l’Observatoire, une ronde de police, marchant d’un pas tranquille, arrivait les mains derrière le dos.