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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/8

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La malade les compta lentement. Ses pauvres doigts transparents frémissaient au contact du soyeux papier. Quand elle eut détaché le dernier billet, elle les reprit un à un, à rebours, et compta encore.

— Dieu aura-t-il pitié de nous !… murmura-t-elle.

Son regard s’éclaira tout à coup ; elle glissa le portefeuille sous sa couverture, et le nom de Roland vint à ses lèvres.

On montait l’escalier quatre à quatre.

Une porte s’ouvrit sur le carré : ce n’était pas celle du voisin qui avait répondu au docteur Lenoir.

— Qu’est-ce que c’est que ça, mauvais sujet ? demanda une voix grondeuse et caressante à la fois.

— Un Buridan, répondit une autre voix. Cachez-moi cela. Voyez-vous, si je n’avais pas eu mon Buridan, je serais devenu fou.

Une voix joyeuse, celle-là, une voix fière : la chère voix de l’adolescent, heureux de vivre et pressé de combattre.

L’instant d’après, la porte de la malade s’ouvrit vivement, mais doucement. Les derniers rayons du jour éclairèrent un splendide jeune homme, beau et vaillant de visage sous ses grands cheveux châtains, haut de taille, gracieux de tournure, fanfaron, modeste, spirituel, naïf, bon et moqueur, selon les jeux soudains de sa physionomie : un vrai jeune homme, chose si rare à Paris, et qui portait royalement en vérité ce merveilleux manteau de passions, d’audaces et de sourires qui s’appelle la jeunesse.

Celui-là, sa mère devait l’adorer follement : sa mère et bien d’autres.

Il traversa la chambre en deux pas, et je ne sais comment dire cela : ses larges mouvements étaient doux comme ceux d’un lion. En bondissant, il faisait moins de bruit qu’une fillette qui s’attarde à étouffer le bruit de son trottinement.

— Bonsoir, maman, maman chérie, disait-il, agenouillé déjà près du lit et pressant la santé de ses lèvres rouges contre ces pauvres mains si froides et si pâles.