Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/9

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Tu ne me grondes pas, parce que tu es meilleure que les anges, mais je suis en retard, n’est-ce pas ? Baise-moi.

Il éleva son front jusqu’aux lèvres de la malade qui sourit en jetant toute son âme à Dieu dans un regard. Le baiser fut long et profond, un baiser de mère.

— Eh bien ! tu te trompes, maman à moi, reprit le grand garçon dont l’étrange prestige rendait charmantes et mâles ces façons de parler enfantines, car il y a des gens, vous savez, qui passent toujours vainqueurs au travers du ridicule comme Mithridate se riait des poisons ; je suis venu de l’atelier au pas de course, mais j’ai rencontré le docteur Lenoir… Et dame ! on a parlé de toi, maman bien-aimée… Et le temps a passé !

— Et le Buridan !… fit la malade à demi-voix.

— Tiens ! dit Roland rougissant et riant. Tu as entendu cela, toi ? C’est vrai ! J’ai un Buridan… le propre Buridan du maître qui est sorcier et qui a deviné dans mes yeux que je ferais une maladie mortelle, si je ne mettais pas une fois au moins sur mes épaules, cet hiver, ce costume du plus beau soldat pour rire qui ait jamais émerveillé le monde !

Il prit la voix d’angine que les comédiens affectaient alors (ils l’aiment encore, les malheureux !), et il poursuivit tout d’un temps, copiant drôlement les intonations de Bocage, le dieu du drame romantique :

— Bien joué, Marguerite ! à toi la première partie ! à moi la revanche ! Entendez-vous les cris des mamans ? C’est le roi Louis dixième qui fait son entrée dans sa bonne ville de Paris… Et vive la Charte !

Au lointain, les trompes du carnaval faisaient orchestre.

— Mon fou ! mon fou ! murmura la malade en l’attirant à elle passionnément, quand tu es là je ne souffre plus !

— Donc, j’ai le Buridan du maître et la permission de m’en servir, pas vrai, maman chérie ? Mme Marcelin viendra ce soir, avec son ouvrage, pour te tenir compa-