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DEUXIÈME PARTIE

On devinait que, sous sa mante rouge, ses bras étaient croisés sur sa poitrine ; sa tête se penchait dans l’attitude d’une profonde et douloureuse méditation.

Le géant devina que la bataille était gagnée et mêla sa grosse voix aux voix triomphantes de la foule.

L’effrayant concert recommença plus tonnant et plus rauque. Le sol tremblait ; il semblait que la voûte invisible allait s’abîmer sous cet assourdissant fracas.

Et tout ce bruit enivrait de plus en plus la cohue : elle en était arrivée à ce point de ne se plus connaître. On retournait sur les gobelets vides les cruches de potteen épuisées. Des voix hurlantes demandaient à boire. Parfois, de la nuit lointaine surgissait le cri de détresse d’un homme étouffé par le poids de tous…

Le délire montait, en se régularisant pour ainsi dire. Les chants s’organisaient ; les mains se rencontraient dans l’ombre, et le mouvement d’un branle fougueux emportait en sens divers les masses qui se choquaient et s’écrasaient.

Puis, après quelques tâtonnements meurtriers, le mouvement prit un cours unique, et la foule, emportée par un irrésistible élan, se mit à tourner dans les ténèbres.