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DEUXIÈME PARTIE

Ceux qui ne le connaissaient point, et ses frères eux-mêmes, en voyant ce front fier et calme, en voyant ces yeux sans larmes, s’étaient dit souvent : « Il l’a oubliée… Il ne l’aimait pas. »

Oh ! comme ils se trompaient ! et combien il l’avait aimée ! et comme il chérissait encore sa mémoire !

Jessy O’Brien, son unique amour ! la poésie de sa jeunesse ardente ! le repos de ses premiers labeurs ! la récompense espérée qu’il avait vue longtemps au bout de ses fatigues !…

Jessy, son rêve sans tache, sa douce fiancée !

Tout ce que son cœur avait de chaleur et de tendresse, il l’avait donné à cette femme qu’on l’accusait de n’avoir point aimée. Cet amour étai grave, dévoué, profond comme son âme. Il était impérissable comme sa volonté. Jessy mariée, Jessy morte, gardait sa place entière au fond de ce cœur, et n’avait point à craindre de rivale.

Quand sa course solitaire l’emportait au loin et qu’il allait, soldat infatigable, combattre seul pour la grande cause de la patrie, le présent disparaissait parfois pour lui devant un songe enchanté…

Ils étaient deux. Son voyage triste avait une