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Page:Féval - La Tache Rouge, volume 1 - 1870.djvu/11

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LA TACHE ROUGE

Paris dort bien quand il dort, mais son sommeil ne dure pas longtemps. Il dort depuis deux heures du matin jusqu’à quatre heures, aux clartés de sa gigantesque veilleuse, faite de cent mille becs de gaz.

Il y avait au moins vingt minutes qu’aucun pas n’avait sonné sur le trottoir du Pont-Neuf, au moment où l’horloge du Palais tinta le dernier coup de quatre heures. Comme si c’eût été un signal, tout en haut de l’étroite façade d’une maison à six étages située au coin de la rue Dauphine, une lueur fugitive s’alluma.

La lueur vécut à peine une seconde, puis ressuscita pour ne plus mourir ; la morte était une allumette, la vivante une bougie.

Ceux qui errent par état dans les nuits parisiennes, les chiffonniers, les hommes de police et les romanciers, savent bien ceci : les dernières clartés du soir s’éteignent aux étages inférieurs des maisons, et les premières clartés du matin s’allument aux mansardes.

De telle sorte qu’entre la lampe, tardivement noyée dans son globe de cristal, derrière les soyeux rideaux d’un boudoir, — ou soufflée sous un abat-jour austère, — et la pauvre mèche qui devance le jour, éclairant les murailles nues du grenier, il n’y a qu’un bien petit intervalle.

On pourrait dire que Paris ne dort jamais que d’un œil. C’est un vaisseau immense où chacun fait son quart.