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Page:Féval - La Vampire.djvu/104

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LA VAMPIRE

Le général Bonaparte avait une large et belle montre de Genève, posée sur les cartes qui couvraient sa table de travail.

Il la consulta et dit :

— Madame, parlez vite, et tâchez de vous justifier…

— Cela vous étonne ? s’interrompit ici Lila répondant à un geste de surprise que René n’avait pu retenir.

René n’avait pas cessé un instant d’écouter avec un intérêt étrange.

— Oui, murmura-t-il, cela m’étonne. Votre récit s’empare de moi parce que je le crois vrai… Cette femme va vers Georges Cadoudal comme elle allait à Bonaparte…

— Non, l’interrompit Lila sèchement.

Sa paupière rapidement baissée cacha l’éclair qui, malgré elle, s’allumait dans ses yeux. Sa bouche seule exprima une nuance de dédain.

Elle ajouta d’un accent rêveur :

— Ne comparez point ; il n’y a pas de comparaison possible. Georges Cadoudal peut n’être pas un homme vulgaire, Bonaparte est un géant. La haine est plus clairvoyante que vous ne croyez, et ma sœur hait d’autant plus qu’elle admire davantage. L’aimant qui l’attirait vers Bonaparte, c’était la gloire ; la force qui l’entraîne vers Cadoudal, c’est la vengeance.

Laissez-moi poursuivre, je vous prie, car j’ai fini et j’ai hâte d’arriver à ce qui nous regarde.

Ma sœur refusa de se justifier ; elle était venue avec d’autres espérances. Peut-être le dit-elle, car je n’ai jamais rencontré de cœur plus hardi que le sien.

Ses paroles glissèrent sur une oreille de marbre.

Ses regards, auxquels rien ne résiste, s’émoussèrent contre des paupières baissées.

Je ne peux pas raconter en détail ce qui se passa. Ma sœur ne me l’a jamais dit. J’ai deviné son silence ; j’ai traduit l’éclair de sa prunelle et le tremblement de sa lèvre blême.

Ma sœur ne pardonnera jamais.

L’aiguille marcha l’espace de deux minutes sur la montre, puis le général Bonaparte appela de nouveau, disant :

— Citoyens, prenez place, le conseil va s’ouvrir… Je donne l’ordre que Mme la comtesse Marcian Gregoryi soit reconduite, sous escorte, aux avant-postes autrichiens.