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LA VAMPIRE

XII

LA CHAMBRE SANS FENÊTRE

— Dans l’armée du prince Charles, poursuivit Lila, nul ne sut comment était mort le général comte Marcian Gregoryi. Ma sœur et moi nous entrâmes au couvent de Varasdin.

Il était occupé par des religieuses cloîtrées de l’ordre de Saint-Vladimir, mais il n’y a ni murailles assez hautes ni verrous assez solides pour arrêter la volonté de ma sœur.

Pendant la courte et victorieuse campagne du Tyrol, Bonaparte courut des dangers que l’histoire ne racontera pas, sauf deux ou trois qui apparaissent comme des chapitres de roman au milieu de la grande épopée de sa vie.

La main de la comtesse Marcian Gregoryi était là.

Notre père mourut vers cette époque, et ma sœur devînt maîtresse de ses actions. Je ne savais pas lui résister. Elle me dominait, moi, pauvre jeune fille, de toute la hauteur de sa haine.

Nous possédions aux bords de la Save des domaines, grands comme une province ; tous nos biens furent vendus, mais, une chose inexplicable, ma sœur garda le champ stérile où était situé le tombeau de la vampire d’Uszel.

Ce champ désolé lui appartient encore.

Nous partîmes pour la France après le traité de Campo-Formio. Au milieu des triomphes qui accueillirent à Paris Bonaparte vainqueur, il y eut un regard ennemi qui le suivait comme une malédiction.

Un homme se dressa bientôt en face du jeune général tout rayonnant de gloire, un homme qui semblait avoir juré d’arrêter brusquement l’essor de sa fortune. C’était le directeur Rewbell, ce puritain arrogant qui récitait ses litanies genevoises avec un accent d’Alsace. Rewbell avait une Égérie pour le soutenir dans cette lutte inégale de la médiocrité contre le génie. Dans une villa située sur les hauteurs de Passy demeurait une jeune femme dont la réputation de beauté inouïe grandissait, malgré la silencieuse retraite où elle cachait sa vie. Chaque soir le puritain Rewbell la venait visiter.

Ma sœur, la brillante comtesse Gregoryi, s’était faite la maîtresse de l’avocat de Colmar pour assouvir sa haine.

Semblable à l’aigle qu’on voudrait enlacer dans une toile d’araignée, Bonaparte brisa d’un seul soubresaut les fils de