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Page:Féval - La Vampire.djvu/106

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LA VAMPIRE

ces petites intrigues, et l’Égypte épouvantée vit un matin l’armée française couvrir ses rivages.

La villa de Passy où Rewbell s’introduisait de nuit redevint solitaire. Un navire anglais nous conduisit à Alexandrie.

Tous ceux qui doivent éblouir ou dominer le monde ont une étoile, cela est certain. L’étoile de Bonaparte m’est apparue en Égypte, où il aurait dû mourir cent fois.

Ma sœur, infatigable, employait ses jours et ses nuits à dresser des pièges toujours inutiles. — Et lui allait son chemin historique, ne sachant même pas qu’il foulait aux pieds la mine creusée sur son passage.

Que dire ? Je devenais une femme, il grandissait à mes yeux semblable à un dieu. Ce n’était pas de l’amour : j’avais trop bien conscience de l’énorme intervalle qui s’élargissait entre nous ; et d’ailleurs il est des destinées : mon cœur vous attendait et ne devait battre que pour vous.

Non, ce n’était pas de l’amour. Il y avait en moi pour lui une admiration craintive et respectueuse. Je ne sais comment tous dire cela, René ; il se mêlait au culte qui me prosternait à ses genoux une secrète horreur. Je suis la fille d’une morte.

Je vois partout cette terrible chose qui a nom le vampirisme : ce don de vivre aux dépens du sang d’autrui. Et avec quoi sont faites toutes ces gloires, sinon avec du sang ?

Avec du sang, dit-on, les hermétiques créaient de l’or ; il leur en fallait des tonnes. La gloire, plus précieuse que l’or, en veut des torrents.

Et sur ce rouge océan un homme surnage, vampire sublime, qui a multiplié sa vie par cent mille morts.

Je désertai dans mon âme la cause de ma sœur. Peut-être y avait-il un charme secret à protéger d’en bas, moi si faible, la marche providentielle de ce géant. Je le protégeai, voilà le vrai : la Fable raconte en souriant ce que put pour le lion roi le plus humble des animaux.

Je le protégeai dans ces longues marches au travers des sables de l’Égypte. Je le protégeai pendant la traversée, et lorsqu’il livra cette autre bataille, au conseil des Cinq-Cents, bataille où le sang-froid sembla un instant l’abandonner, je le protégeai encore.

Il y eut là un moment, je vous le dis, où ses fameux grenadiers n’auraient pas su le défendre. Et malheur à qui se laisse défendre trop souvent par des soldats ailleurs que dans la plaine, où est la place des soldats !

Ma sœur se demandait si quelque démon protégeait la vie de cet homme. Sa conspiration s’obstinait, infatigable.

Le 10 octobre de l’année 1800, ma sœur mit un poignard