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Page:Féval - La Vampire.djvu/124

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LA VAMPIRE

mède, à ces heures, sortait du bain tout nu et parcourait ainsi les rues de Syracuse : on ne souffrirait plus cela ; Voltaire, plus frileux, se bornait à jeter sa tabatière en l’air et la rattrapait avec beaucoup d’adresse ; Machiavel mangeait un petit morceau de sa lèvre ; M. de Talleyrand s’amusait à retourner la longue peau de ses paupières sens dessus dessous.

M. Dubois, préfet de police, ne faisait rien de tout cela. À l’aide d’une grande habitude qu’il avait de cet exercice, il obtenait de chacune des articulations de ses doigts un petit claquement qui le divertissait lui-même et impatientait autrui.

Quand tout réussissait, il pouvait fournir, à trois par doigts trente petites explosions, mais les pouces n’en donnaient parfois que deux.

M. Berthellemot imitait son chef dans ce que son chef avait de bon. Quand le préfet n’était pas là, le secrétaire général obtenait parfois jusqu’à trente-six craquements et pensait à part lui : Je fais tout mieux que M. le préfet !…

Aujourd’hui, en désarticulant ses phalanges, M. Berthellemot se dit :

— Voilà un homme dangereux et profond comme un puits. Il faut le circonvenir, et je m’en charge ! petite parole !

— Mon cher monsieur Sévérin, reprit-il avec une noble condescendance, vous n’êtes pas le premier venu. Vous avez reçu une bonne éducation, cela se voit, et vous avez une façon de vous présenter très convenable. L’emploi que vous occupez est médiocre…

— Je m’en contente, l’interrompit Gâteloup avec une sorte de rudesse.

— Fort bien… Nous disposons ici de certains fonds, destinés à récompenser le dévouement…

— Je n’ai pas besoin d’argent, l’interrompit encore Gâteloup.

Puis il ajouta, avec un sourire qui sentait en vérité son gentilhomme :

— Monsieur l’employé supérieur, vous battez des buissons où je ne suis pas.

— Morbleu ! à la fin, s’écria Berthellemot, qu’est-ce que vous avez à me dire, mon brave ?

— Ce n’est pas ma faute si M. l’employé supérieur ne le sait déjà, répliqua Jean-Pierre. Je viens ici…

Mais le démon de l’interrogation reprenait M. Berthellemot :

— Permettez ! fit-il d’un ton d’autorité. C’est à moi, je suppose, de conduire l’entretien. Ne nous égarons pas… Vous dites que le personnage suspect avec qui vous étiez rue de l’Ancienne-Comédie s’appelle Morinière…