Aller au contenu

Page:Féval - La Vampire.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
132
LA VAMPIRE

C’est la partie agréable de la profession, voyez-vous ; cela délasse des travaux sérieux. Faites votre rapport à votre aise, soyez véridique et précis. Je vais prendre des notes.

— Monsieur l’employé, demanda Jean-Pierre avant de se rasseoir, puis-je espérer que je ne serai plus interrompu ?

— Je ne pense pas, mon voisin, repartit Berthellemot d’un air un peu piqué, avoir abusé de la parole. Mon défaut est d’être trop taciturne et trop réservé. Allez, je suis muet comme une roche.

Jean-Pierre Sévérin reprit son siège et commença ainsi :

— L’établissement nouveau du Marché-Neuf, dont je dois être le greffier concierge, est presque achevé et nécessite déjà de ma part une surveillance fort assujettissante. On expose encore à l’ancien caveau, mais sous quelques jour on fera l’étrenne de la Morgue… et c’est une chose étonnante : je songe à cela depuis bien des semaines. Je me demande malgré moi : qui viendra là le premier ? Certes, c’est une maison à laquelle on ne peut pas porter bonheur, mais enfin, il y a des présages. Qui viendra là le premier ? un malfaiteur ? un joueur ? un buveur ? un mari trompé ? une jeune fille déçue ? le résultat d’une infortune ou le produit d’un crime ?

Nous demeurons à deux pas du Châtelet, au coin de la petite rue de la Lanterne. J’aime ma femme comme le désespéré peut chérir la consolation, le condamné la miséricorde. À une triste époque de ma vie où je croyais mon cœur mort j’allai chercher ma femme tout au fond d’une agonie de douleurs, et mon cœur fut ressuscité.

Notre logis est tout étroit ; nous y sommes les uns contre les autres ; mon fils grandit pâle et faible. Nous n’avons pas assez d’espace ni d’air, mais nous nous trouvons bien ainsi ; il nous plaît de nous serrer dans ce coin où nos âmes se touchent.

Il y a chez nous trois chambres : la mienne, où dort mon fils, celle où ma femme s’occupe de son ménage ; nous y mangeons, et c’est là que le poêle s’allume l’hiver ; celle enfin où Angèle brodait en chantant avec sa jolie voix si douce.

Celle-là n’a guère que quelques pieds carrés, mais elle est tout au coin de la rue, et il y vient un peu de soleil.

Le rosier qui est sur la fenêtre d’Angèle a donné hier une fleur. C’est la première. Elle ne l’a pas vue… La verra-t-elle ?

De l’autre côté de la rue se dresse une maison meilleure que la nôtre et moins vieille. On y loue au mois des chambres aux jeunes clercs et à ceux qui font leur apprentissage pour entrer dans la judicature.