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Page:Féval - La Vampire.djvu/136

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LA VAMPIRE

Voilà un peu plus d’un an, il n’y avait pas quinze jours que ma femme et moi nous nous étions dit : Angèle est maintenant une jeune fille, un étudiant vint loger dans la maison d’en face. On lui donna une chambre au troisième étage, une belle chambre, en vérité, à deux fenêtres, et aussi large à elle toute seule que notre logis entier.

C’était un beau jeune homme, qui portait de longs cheveux blonds bouclés. Il avait l’air timide et doux. Il suivait les cours de l’école de droit.

J’ai su cela plus tard, car je ne prends pas grand souci des choses de notre voisinage. Ma femme le sut avant moi, et Angèle avant ma femme.

Le jeune homme avait nom Kervoz ou de Kervoz, car voilà qu’on recommence à s’appeler comme autrefois. Il était le fils d’un gentilhomme breton, mort avec M. de Sombreuil, à la pointe de Quiberon…

M. Berthellemot prit une note et dit :

— Mauvaise race !

— Comme je n’ai jamais changé d’idée, répliqua Jean-Pierre, je n’insulte point ceux qui ne changent pas. Le temps à venir pardonnera le sang répandu plutôt que l’injure. Que Dieu soutienne les hommes qui vivent par leur foi, et donne l’éternelle paix aux hommes qui moururent pour leur foi.

Je ne veux pas vous dire que notre fillette était jolie et gaie, et heureuse et pure. Quoique mon fils soit à nous deux, je ne sais pas si je l’aimais plus tendrement qu’Angèle qui n’appartient, par les liens du sang, qu’à ma pauvre chère femme. Quand elle venait, le matin, offrir son front souriant à mes lèvres, je me sentais le cœur léger et je remerciais Dieu qui gardait à notre humble maison ce cher et adoré trésor.

Nous l’aimions trop. Vous avez deviné l’histoire, et je ne vous la raconterai pas au long. La rue est étroite. Les regards et les sourires allèrent aisément d’une croisée à l’autre, puis l’on causa ; on aurait presque pu se toucher la main.

Un soir que je rentrais tard, pour avoir assisté à une enquête médicale, au Châtelet, je crus rêver. Il y avait au-dessus de ma tête, dans la rue de la Lanterne, un objet suspendu. C’était au commencement du dernier hiver, par une nuit sans lune ; le ciel était couvert, l’obscurité profonde.

Au premier aspect, il me sembla voir un réverbère éteint, balancé dans les airs à une place qui n’était point la sienne.

La corde qui le soutenait était attachée d’un côté à la fenêtre du jeune étudiant, de l’autre à la croisée d’Angèle.

— Voyez-vous cela ! murmura le secrétaire général. Il y a des quantités d’anges pareils. Je prends des notes.