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Page:Féval - La Vampire.djvu/76

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LA VAMPIRE

— Comtesse, prononça-t-il lentement, j’avais vingt-deux ans quand mon frère est mort. Le lendemain de ce jour-là j’avais les cheveux blancs comme un vieillard… Je voulus me tuer, un homme me sauva et me raconta que lui aussi avait changé, en une nuit d’angoisse, une forêt de boucles noires contre une chevelure blanche… Cet homme-là m’avait conseillé de passer la mer et d’oublier. Vous avez murmuré le mot vengeance à mon oreille : j’attends.

La jeune femme sembla grandir, et sa beauté transfigurée exprima une indomptable énergie.

— D’autres attendent comme toi, répondit-elle. Andréa Ceracchi. Tout ce que j’ai promis, je le tiendrai. J’ai rassemblé autour de moi ceux dont cet homme a brisé le cœur ; et n’ai-je pas assez travaillé déjà pour notre cause commune ?

Elle fut interrompue par un bruit sourd qui se fit dans la serre et qui lui donna un tressaillement par tout le corps. Ceracchi ne pouvait pas devenir plus pâle, mais ses traits s’altérèrent et il ferma les yeux.

René, dont le regard se porta malgré lui vers la serre, vit le nègre debout auprès d’un trou carré qui s’ouvrait parmi les caisses de fleurs. Il souriait un sourire sinistre. Le paquet long avait disparu.

— Tu veux venger ton frère, reprit la jeune femme d’une voix altérée : Taïeh veut venger son maître (son doigt désignait par-dessus son épaule le nègre, occupé à refermer une large trappe sur laquelle il fit glisser une caisse de Yucca). Toussaint-Louverture est mort comme Ceracchi, mort plus durement, dans le supplice de la captivité. Taïeh ne demande pas compte du prix qui payera sa vengeance… Osman est venu du Caire avec un poignard empoisonné, caché dans son turban… Mais ce n’est pas un vulgaire poignard qui tuera cet homme… Il faut du sang et de l’or : des flots d’or et de sang ; Il faut cent bras obéissant à une seule volonté, il faut une volonté une mission, une destinée… le sang coule, haussant de jour en jour le niveau de l’or. Les Frères de la Vertu sont prêts, et me voici, moi que le destin a choisie… Andréa Ceracchi sera-t-il le premier à perdre confiance ? Me suis-je arrêtée ? ai-je reculé ?…

Elle s’interrompit, parce que l’Italien lui baisait les mains à genoux.

Elle était belle si merveilleusement que son front épandait des lueurs.

— J’ai foi en vous ! prononça l’Italien avec une dévotion mystique.

La main étendue de la jeune femme désigna René.

— Celui-ci nous fournira l’arme suprême, murmura-t-elle.