Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/329

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— Une fois, répliqua-t-elle en cessant de manger, il m’a trouvée le soir, dans un coin de la place de la Corderie… Mon Dieu ! mademoiselle Gertraud, il est aussi méchant que vous êtes bonne !… Il me prit par les cheveux ; il me renversa sur le pavé, il me battit avec ses pieds et avec ses mains en grondant de rage… et plus il me battait, plus il avait de fureur !… Sans Hermann, l’ami de votre père, qui vint à passer là par hasard, je crois qu’il m’aurait tuée…

Le sein de la Galifarde se gonflait, et ses yeux baissés étaient pleins de larmes.

Gertraud, émue, s’assit auprès d’elle sur le matelas.

Geignolet se renfonça derrière son pilier.

— Mais que lui as-tu donc fait, Nono ? demanda Gertraud, pour qu’il te déteste ainsi…

— Mon Dieu ! répondit l’enfant, je lui ai pris sa place… et Dieu sait pourtant que la place n’est pas bonne !… Avant moi, il ôtait le galifard de Monsieur, qui l’a renvoyé parce qu’il le volait.

Gertraud prit la petite main froide de Nono et la réchauffa entre les siennes.

— Dépêche-toi, dit-elle, ma pauvre fille ; mon père m’attend.

Nono porta de nouveau la cuiller à ses lèvres, et l’écuelle se vida en quelques instants.

Quand l’écuelle fut vide, l’idiot poussa un sourd grognement.

— La Galifarde a tout mangé ! grommela-t-il ; elle n’a rien laissé pour Geignolet…

Il s’avança en dehors du pilier ; Nono l’aperçut et fit un geste d’épouvante. Gertraud se retourna vivement ; elle vit l’idiot qui s’enfuyait en montrant le poing à sa victime.

Gertraud se leva et reprit son écuelle.

— C’est un pauvre insensé, murmura-t-elle ; il faut lui pardonner.

— Oh ! je lui pardonne ! s’écria vivement l’enfant, dont les grands yeux s’éclairèrent d’un reflet angélique ; — je lui pardonne à cause de vous, mademoiselle Gertraud, et à cause de son frère que vous aimez… Je prie Dieu pour lui et pour tous ses parents qui souffrent comme moi.

Un incarnat plus vif vint aux joues de Gertraud.