Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/452

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Cette compagnie des Grands Propriétaires s’assied déjà sur d’excellentes bases, et doit nous faire remonter, j’en suis sûr, au point d’où nous sommes descendus… descendus, hélas ! par notre faute, ajouta Reinhold avec un gros soupir. Si l’entreprise réussit, comme c’est probable, nous redonnons à la maison une importance européenne et tous nos péchés sont expiés… Pour cela, croyez-nous, nos mesures sont assez bien prises ; rien n’a été négligé ; nous avons dépensé une bonne part de notre actif à donner de ces preuves d’opulence qui valent presque l’opulence elle-même, aux yeux de la plupart des hommes… Jamais Geldberg n’avait été plus somptueux, plus prodigue ! Nos employés dépensent autant d’argent que des fils de famille… On parle de nos fêtes dans les journaux, et nos salons n’ont guère de rivaux à Paris.

— Le fait est, dit le jeune M. de Geldberg, en relevant sa moustache avec tout plein de complaisance, — le fait est, monsieur le baron, que nous sommes les lions de cette année.

Le docteur ne prenait aucune part à l’entretien, et semblait perdu dans ses réflexions. Son œil morne, qui paraissait comme enfoui dans les profondeurs de son orbite, était fixé à demeure sur la figure de M. de Rodach.

— Mais cela ne suffisait plus, reprit le chevalier de Reinhold, — on a beau jeter l’argent par les fenêtres, un bal est toujours un bal, et il y en a tant !… Pour faire du nouveau en ce genre, il faudrait, je crois, aller danser au Père Lachaise !…

— Ah çà ! fit le baron, je ne saisis pas parfaitement le rapport qu’il y a entre vos bals…

— Et la compagnie des Grands Propriétaires ? s’écria Reinhold en éclatant de rire.

— On voit bien que M. le baron n’est pas de Paris ! dit Abel avec ce ton orgueilleusement modeste d’un homme qui croit faire un bon mot.

— Ah ! cher Monsieur, cher Monsieur ! reprit le chevalier, nous ne sommes pas ici dans notre vertueuse Allemagne ! Nos bals sont ici la grosse caisse et le tambour… C’est bien un peu usé ; tout le monde le dit, mais tout le monde s’y laisse prendre… Il y a cent ans qu’on connaît cela, et dans cent ans la recette sera encore en usage… Quoi qu’il en soit, nous