Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naissant. — Ce baiser ne fut point perdu pour ses deux sœurs aînées, qui l’épiaient toujours.

La lettre resta collée à sa lèvre pendant quelques secondes, puis sa main retomba languissante.

Elle n’avait plus de sourire.

— Mon Dieu ! murmura-t-elle, ne m’aime-t-il donc plus !… cette lettre, qui me fit si joyeuse, voilà maintenant plus de trois mois que je l’ai reçue !… les deux suivantes étaient courtes et ne disaient rien… il y avait de la froideur dans ces lignes distraites et hâtives… et la dernière a six semaines de date !… quarante-deux jours sans m’écrire !

Elle eut un frisson par tout le corps.

— Il souffre tant ! reprit-elle, si son malheur trop lourd avait fini par l’écraser !… s’il était malade !… s’il était…

Elle n’acheva pas, mais une pâleur plus mate couvrit son visage, et sa tête s’inclina, douloureuse, sur sa poitrine.

Ses yeux étaient secs ; ses lèvres blanches remuaient lentement, murmurant une prière.

De loin, Esther et Sara croyaient qu’elle s’était endormie au milieu de ses rêves d’amour.

Après plusieurs minutes d’un silence immobile, elle se redressa tout à coup.

— Non, non ! reprit-elle, tandis qu’un rayon d’espérance brillait dans ses beaux yeux, — Dieu ne peut pas me faire si malheureuse !… Demain, je retournerai chez cette femme ; demain, je retrouverai une lettre… Oh ! comme je vous remercierai à genoux. Seigneur !… Sainte Vierge ! comme je vous bénirai !… une lettre, un mot qui me dise : Je ne t’ai pas oubliée !…

Au milieu de la table, il y avait une petite cassette fermant à clef, dont la destination évidente était de serrer tous ces papiers dispersés maintenant.

Lia l’approcha d’elle et l’ouvrit ; elle y plaça l’une après l’autre toutes les lettres qu’elle repliait à mesure. Tout en les repliant, elle lisait dans chacune un mot, une phrase qui lui en rappelait le contenu tout entier.

Elle les savait par cœur, bien que son plus cher passe-temps fût de les parcourir sans cesse…