Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/612

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Ils riraient bien, si vous leur parliez sérieusement d’une autre vie ! Il n’y a pour eux de vrai que la cour d’assises et la police correctionnelle…

Il faut leur savoir gré, nous le disons en conscience, de n’être que vicieux. Du jour où les enseignements de la philosophie athée ont filtré d’en haut jusque dans leurs bouges, ils ont eu le droit d’être criminels…

Au milieu de la nuit profonde où elle avait toujours vécu, faisant tous les métiers douteux et brocantant le mal, madame Batailleur avait gardé par hasard au dedans d’elle un atome de justice. Il restait quelque chose au fond de sa conscience, et en cela elle était bien supérieure à Petite, qui, sous ses dehors brillants, cachait une corruption volontaire et sans bornes.

Petite, du reste, l’avait jugée avec ce tact sûr et fin qu’elle possédait au degré suprême. Elle savait au juste ce qu’elle pouvait lui accorder de confiance, et ne courait point risque de se tromper.

Madame Batailleur avait toutes les affaires de Sara entre les mains. Elle était le centre d’un système de tromperies légales, à l’aide duquel Petite éludait les prescriptions du Gode, et amassait une fortune malgré sa position de femme mariée, tandis que son mari se ruinait.

Madame Batailleur prêtait son nom. Elle avait des rentes, des actions de toute sorte, et jusqu’à des immeubles. C’était elle qui s’abouchait avec les agents de change et les courtiers d’affaires.

Elle était simple revendeuse à la toilette, il est vrai, et certaines gens auraient pu s’étonner de la voir remuer des centaines de mille francs. Mais cela n’inspirait point de défiance.

Le Temple est un mystérieux purgatoire où le marchand peut rester toute sa vie, mais parfois l’usure y végète quelques années seulement, pour entrer ensuite de plein saut dans le paradis heureux de la fortune.

On ne peut pas savoir. — On a vu des faits si étranges ! Ce malheureux qui fafiotait jadis dans la Forêt-Noire, et dont les savates rebouissées faisaient honte aux porteurs d’eau, ne loua-t-il pas un jour l’hôtel d’un duc et pair en déconfiture ? Cet autre qui retapait les vieux chapeaux derrière la Rotonde, n’a-t-il pas laissé l’opulence à ses deux fils, qui sont des seigneurs ?…

Nul ne peut dire ce qu’il y a d’or sous cette misère. Le Temple ressemble à ce mendiant qui cache des billets de banque dans la paillasse