Page:Féval - Le Loup blanc, 1883.djvu/13

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— Décidément, monsieur Nicolas a perdu la tête !

Il s’arrêta tout à coup : une grande pâleur monta jusqu’à son front ; son œil lança un éclair. Il se couvrit et gagna lentement la porte. Sur le seuil il croisa ses bras et envoya au banc de la noblesse un long regard de défi.

— Je remercie Dieu, dit-il d’une voix lente et durement accentuée qui pénétra jusqu’aux extrémités de la salle, je remercie Dieu de n’avoir perdu que la tête, quand messieurs mes amis, eux, ont perdu le cœur.

À ce sanglant outrage vous eussiez vu bondir sur leurs sièges tous ces fiers gentilshommes. Vingt rapières furent à l’instant dégaînées. Nicolas Treml ne bougea pas.

— Laissez là vos épées, reprit-il. Moi aussi, je fus insulté ; pourtant je me retire. Ce n’est point du sang breton qu’il faut à ma colère. Adieu, messieurs. Je prie Dieu que vos enfants oublient leurs pères et se souviennent de leurs aïeux. Je me sépare de vous et je vous renie. Vous avez mis la Bretagne au tombeau ; moi, je mettrai du sang sur le tombeau de la Bretagne. Quand il n’est plus temps de combattre, il est temps encore de se venger et de mourir.

M. de la Tremlays monta sur son bon cheval et prit la route de son domaine.

Ceux qui le rencontrèrent en chemin, ce jour-là, ne purent deviner les pensées qui se pressaient dans son esprit. Robuste de cœur autant que de corps, il savait garder au-dedans de lui sa colère. Son front restait calme, son regard errait, vague et indifférent, sur le plat paysage des environs de Rennes.