Page:Féval - Le Loup blanc, 1883.djvu/251

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ger suivi du plat incomparable qu’il venait d’inventer.

Le digne financier avait un air à la fois modeste et conscient de sa valeur. Il semblait savourer par avance les unanimes éloges qui allaient accueillir ce chef-d’œuvre de l’art culinaire, rendu plus précieux par la noble main qui l’avait préparé ; il méditait déjà une courte allocution en forme de madrigal, à l’aide de laquelle il comptait offrir à mademoiselle de Vaunoy l’honneur d’attacher son nom au blanc-manger nouveau-né.

Certes, ce n’était point là une mince aubaine pour la belle Alix. Il y allait de l’immortalité, car le plat n’était rien moins qu’une béchamelle de turbot (les cuisiniers ont faussé l’orthographe de ce nom illustre), c’était, en un mot, la première de toutes les béchamelles.

Hélas ! le destin est aveugle, tous les bons poètes l’ont dit, et les projets des hommes sont étrangement caducs ! La primeur de ce précieux aliment devait tomber en partage aux palais mal appris de deux ignobles valets !

En entrant dans le salon, Béchameil orna sa lèvre de son plus avenant sourire. Ce fut en pure perte : il n’y avait point de convives.

Hervé de Vaunoy n’avait pas reparu. Alix était en proie à d’atroces souffrances ; mademoiselle Olive veillait auprès de son lit de douleur. Didier était on ne savait où.

Ce que voyant, Béchameil, ordinairement si paisible, entra dans un dépit furieux. Désolé de n’avoir personne pour apprécier les mérites de son blanc-manger il demanda son carrosse, et partit au galop pour sa villa de la Cour-Rose.