Page:Féval - Le Loup blanc, 1883.djvu/53

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que le temps des chevaliers errants et des hauberts d’acier n’était point passé depuis des siècles.

C’est que, en Bretagne, le temps ne vole point, il marche ; ses ailes se détrempent et s’alourdissent au brumeux contact de l’atmosphère armoricaine. Les coutumes enchérissent sur le temps ; elles restent immobiles. Il y a encore, au moment où nous écrivons ces lignes, entre Paris et telle ville du pays de Léon, de la Cornouaille ou de l’évêché de Rennes, la même distance qui existe entre le Moyen Âge et notre ère, entre la résine et le gaz, entre le coche et la vapeur, — mais aussi entre la croyance et le doute, entre la poésie et la prose, entre les flèches à jour d’une cathédrale et les toits bâtards des temples de l’argent.

Au moral, Jude était une de ces honnêtes natures façonnées à la soumission passive, et qui ont, dès l’enfance, inféodé leur vouloir à une volonté suzeraine. Jude obéissait ; c’était son rôle et sa vocation ; mais son obéissance était dévouement et non point servilité. On ne conçoit plus guère de nos jours ces contrats tacites et irrévocables qui faisaient du maître et du serviteur un seul tout, possédant deux forces d’hommes au service d’une volonté unique.

Domesticité emporte l’idée d’abjection, et, juste ou non, cette idée pèse sur toute une classe de notre société ; mais, à ces époques où le vasselage organisé remontait du serf au souverain par tous les échelons d’un système complet et sans lacunes, le valet était à son seigneur ce que son seigneur était au roi. Il y avait proportion, par conséquent comparaison, et toute comparaison exclut le dédain.