Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/26

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votre maître, vous parlez malgré vous, M. de Guezevern.

— Celui qui a dit cela en a menti ! s’écria le page.

— Si vous n’aviez point parlé, comment un homme m’aurait-il reproché de vous aimer ?

— Un homme ! balbutia maître Pol, déjà tremblant de colère.

— Un homme qui a mis à profit, ce matin, le temps que vous avez perdu.

— Il vous a entretenue, Éliane ? »

Elle s’assit sur un banc de granit qui était au bout de l’allée.

« La chanson qui vous appelle d’ordinaire était achevée, prononça-t-elle tristement. Vous ne veniez pas, il est venu. Il m’a dit que j’étais belle.

— L’insolent !

— Trop belle pour un simple page… »

Autour de ses lèvres charmantes, il y avait un fin et malicieux sourire.

« Mort de moi !… commença maître Pol.

— Si vous jurez, je m’en vais, interrompit doucement Éliane. Il m’a dit encore que bien des écuyers seraient fiers de mettre leurs hommages à mes pieds.

— Et vous avez écouté cela, Éliane ! Dieu merci, les fillettes comme vous ont un diable dans le corps ! Des hommages ! à vos pieds… sang du Christ ! Et ne croyez pas que ce soit pour jurer, je reconnais ce style fleuri comme si j’avais vu la bouche emmiellée qui vous a débité de pareilles fadeurs. C’est Saint-Venant, le maudit singe, qui était tout à l’heure sous la tonnelle et que je prenais pour vous !

— Monsieur Renaud de Saint-Venant, s’il vous plaît, maître Guezevern, le second écuyer de madame la duchesse de Vendôme, un nom de bonne noblesse et un galant jouvenceau qui ne touche jamais les dés, qui méprise le péché d’ivrognerie, et qui ne jure jamais, jamais !

— Vous le voyez donc bien souvent, que vous savez tout cela, demoiselle ? demanda aigrement le page.

— Je le vois chaque fois que vous commettez quelque méfait, maître Pol, répliqua la jeune fille dont les grands yeux souriants démentaient la piquante parole, pour vous punir comme vous le méritez et pour me consoler du gros chagrin que vous me faites. »

Elle lui tendit la main cette fois.

Maître Pol la prit et la porta à ses lèvres.

« Mort de mes os ! dit-il, essayant de cacher son émotion sous une apparence de gaieté, et c’est bien la dernière fois que je jure, Éliane, si on me punissait comme je le mérite, je serais tout bonnement étouffé entre deux matelas. Saint-Venant est mon ami, et je ne puis croire qu’il me trahisse…

— Il ne m’a jamais abordée que pour me parler de vous, murmura la jeune fille.