Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/40

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affaires privées et vous allez bien voir que l’élément merveilleux ne manquait point dans la boutique de Mathieu Barnabi.

La merveille, en effet, chez les sorciers d’autrefois, comme chez les sorciers d’aujourd’hui, c’est l’adresse. Vous admirez les tours des danseuses de corde et des acrobates : moi aussi, mais j’admire bien mieux l’étonnant effort de ces funambules de l’intelligence.

Notre dix-neuvième siècle se figure qu’il ne croit plus à rien, aussi croit-il à tout : c’est la loi. Jamais époque n’a mis plus de burlesque gravité à prendre des vessies pour des lanternes. Nous avons des augures qui s’entre-regardent sans rire.

Je pose en fait qu’en 1866, les farces du diacre Paris auraient un succès fou, s’il était encore permis de faire orgie dans les cimetières. L’Amérique vomit sur nous des torrents de glaciale absurdité. Nous raillons Mathieu Laensberg en refaisant ses almanachs plus mal ; nous nous moquons des ténèbres du moyen âge en brandissant une chandelle éteinte ; nous insultons à la superstition antique, plongés que nous sommes jusqu’au cou dans un mysticisme trouble, sans grandeur ni poésie où les pittoresques épouvantements d’autrefois sont remplacés par une planche qui bascule ou par un pied de bois qui remue !

Et nous avons d’effrénés comiques qui n’ont pas pudeur d’appeler cela de la SCIENCE !

Ô science ! œil sublime, regard d’aigle embrassant la terre et le ciel ! Depuis cent ans, tu as répandu sur le monde la lumière de dix siècles. Il faut bien que tout triomphe ait son outrageux revers. Et qu’importe, en définitive, le radotage de ces queues-rouges, blasphémant, par derrière les éblouissements de ton char ?

Aujourd’hui, comme autrefois, le suprême talent du sorcier consiste à savoir d’avance ce qu’il est censé prédire. On a prétendu que la fameuse mademoiselle Lenormand avait une police à elle, très-bien organisée, outre les renseignements qu’elle puisait à la police générale.

C’est ici le fonds de magasin de ce fantastique commerce. L’habileté gît dans la manière d’exploiter ce fonds. Il y a des sorciers au tas et des virtuoses de la sorcellerie. Paris est plein de sujets lucides qui meurent de faim, tandis que quelques-uns roulent carrosse.

Une fois étant donné le fond, c’est-à-dire le renseignement originel, il y a le calcul des probabilités et le travail de déduction. Sans aller plus loin que Londres la police anglaise, en combinant ces trois bases, arrive à des résultats qui tiennent de la magie.

On a dit avec raison que les hermétiques du moyen âge, ces charlatans convaincus, trouvèrent le grand art de la chimie. On peut dire avec la même vérité que ces autres charlatans, moins sincères, les sorciers des seizième et dix-septième siècles, inventèrent la police.