Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 2.djvu/239

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combat ensemble, côte à côte, le sang se mêle, le cœur s’épanche ; on s’aime à tort et à travers.

Mais là-bas, car en quittant la France après avoir écrit à sa femme : je suis mort, et après avoir essayé de mourir, Pol de Guezevern alla loin, bien loin, là-bas, dis-je, en Allemagne, en Bohême, en Hongrie ; dans ces batailles qui se livrent à cinq cent lieues du sol natal, quand deux hommes se rencontrent et se donnent le nom de frère, c’est à la vie et c’est à la mort.

Je suis le frère de Pol de Guezevern, ami Roger, et il m’a dit de veiller sur toi comme un père ; je suis le frère du comte de Pardaillan, chevalier, à ce point que j’ai pu vous dire : je vous aime parce que vous aimez ma fille.

C’est moi qui ai vérifié la date de naissance de l’enfant, c’est moi qui ai dit : Sur ce point, du moins, madame Éliane n’est pas coupable.

Une nuit, de l’autre côte du Danube, dans les plaines qui entourent Szegedin, le dernier village chrétien, il y eut une de ces mêlées sanglantes dont l’écho vous arrive à peine. Les Turcs restèrent maîtres du champ de bataille. Pol et moi nous fûmes triés parmi les morts, parce qu’il nous restait un souffle de vie, et trois mois après, nous ramions dans les eaux de Trieste, à bord de la galère capitane.

Nous avons ramé sept ans, comme sept ans nous avions combattu : toujours ensemble.

Ce fut un soir, nous croisions en vue d’Alger, Pol me dit : « Je mourrai donc sans revoir Éliane, ma bien-aimée femme ! Elle est venue hier me visiter en rêve. Elle m’appelait à son secours. »