Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Or, avec tout cela, jusqu’en l’année 1823, le roi Guillaume n’avait pas d’héritier direct du sexe masculin. Ce fut donc une grande joie dans le Wurtemberg, lorsque, le sixième jour de mars, le canon annonça la naissance d’un prince royal, qui fut ondoyé, selon le rite luthérien, sous les noms de Charles Frédéric-Alexandre. Le roi voulut retarder la cérémonie du baptême définitif, afin de le faire digne de toute son allégresse, et toutes les cours amies durent être conviées à cette fête nationale qui était en même temps une fête de famille.

« Nous n’avons plus le temps de ménager nos petits effets de surprise, et d’ailleurs, d’après tout ce qui précède, chacun de vous pourrait deviner que les frères Ténèbre furent de la fête. Mais sous quel prétexte et sous quelle forme ! Je vous prie, mes chers seigneurs et mes belles dames, de ne point jauger ces deux êtres véritablement prodigieux à la mesure de vos imposteurs timides, de vos brigands à cervelle étroite, de vos fantômes dont le rôle puéril se borne à épouvanter gratuitement la faiblesse des femmes et la poltronnerie des petits enfants. Mon avis, je ne vous l’ai pas caché, est que nous sommes ici en face du surnaturel, employant des moyens qui sont en dehors de notre compréhension, pour satisfaire la plus grossière et la plus basse de toutes les passions humaines : la convoitise. Sous ces pierres noires, recouvrant les deux tombes de la plaine du Grand-Waraden, on n’enterra point des corps, mais des péchés capitaux incarnés depuis le commencement du monde. En d’autres lieux doivent être les marbres qui recouvrent ces autres vampires, toujours mourant, mais vivant toujours : l’Ambition, la Colère, la Haine, le Mensonge et l’Orgueil.

« Ne comparez donc pas, vous qui êtes émerveillés à la comédie jouée récemment dans Paris par votre comte Pontis de Sainte-Hélène. Ne dites pas qu’il y a