Page:Féval - Les Belles-de-nuit ou les Anges de la famille, tome 5, 1850.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
LES BELLES-DE-NUIT.

titude qu’il était incapable de se relever désormais jusqu’à une pensée de vengeance.

Sa nature morale et sa nature physique avaient fléchi pareillement. C’était un vieillard imbécile et faible ; sa pensée dormait engourdie, comme le ressort de ses membres, autrefois si robustes.

Il restait des journées entières, accroupi dans son coin, immobile et ne secouant son inerte apathie que pour porter à ses lèvres la bouteille fêlée, où l’oncle Jean mettait parfois quelques gouttes d’eau-de-vie.

Quand il n’y avait plus rien dans la bouteille, il laissait retomber sa tête barbue sur sa poitrine, et restait plongé, depuis le matin jusqu’au soir, dans un pesant sommeil.

Il ne bougeait pas ; il ne parlait pas. Il recevait les soins de sa femme sans témoigner ni plaisir ni peine. Et quand son regard éteint tombait sur elle par hasard, on eût cherché en vain dans cette morne prunelle l’indice d’un sentiment quelconque : haine ou tendresse.

L’oncle Jean se fiait à ces signes et ne craignait plus.

Une fois qu’on avait allumé une chandelle dans le pauvre grenier, le père Géraud disait avoir vu, en s’éveillant au milieu de la nuit, René de Penhoël, dressé de son haut contre le