Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/181

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Les deux pavillons d’ivoire avaient gémi en même temps. M. de Gaillardbois but un large verre de bière, pendant que son hôte causait avec ses interlocuteurs invisibles. Il se sentait la tête troublée, non point par la froide liqueur ni par la fumée du cigare, mais bien par les étranges gambades que M. Lecoq faisait faire à l’entretien.

« Je m’occupe précisément de madame la baronne ! » répondit M. Lecoq dans le pavillon de droite.

Et dans le pavillon de gauche, avec la même bonne foi :

« Je m’occupe précisément de monsieur le baron. »

Il sourit en ajoutant à l’adresse de son compagnon :

« À l’aide de cette formule si simple, cher monsieur, on gagne ordinairement un gros quart d’heure sur les impatiences les plus récalcitrantes. Dès qu’on dit à un homme ou à une femme : je m’occupe précisément de vous, la fougue se calme, et l’énergumène lui-même devient laiteux comme un ver à soie. C’est un secret du métier. Femme ou homme, il n’est personne qui n’ait besoin de secours. Et par le fait, je ne mens point : je m’occupe de ceux qui sont là, tout en m’occupant de vous, de moi et de beaucoup d’autres encore. Pour employer comme il faut notre quart d’heure, marchons droit au but : donneriez-vous beaucoup pour rendre un signalé service à la sûreté publique ?

— Beaucoup.

— Combien ?… Mais ne répondez pas ; je fixerai moi-même le taux de votre reconnaissance. Me serait-il permis de vous demander si, au fond du cœur, vous ne conservez aucun vieux levain de légitimisme ?

— Heu ! heu ! fit le marquis en se croisant les jambes à la diplomate.