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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/35

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des larmes dans les yeux. Étienne se précipita vers lui les mains tendues.

« Tu pleures ! s’écria-t-il. Je suis plus bête encore que je ne croyais !

— Pauvre ami ! répliqua Maurice en souriant avec tristesse, ne te reproche rien. C’est ma propre pensée qui me blesse, bien plus que ton innocente moquerie. Tu ne me diras jamais les injures dont je m’accable moi-même. Il y a en moi un symptôme étrange : on dirait que je vise plus haut, à mesure que je me sens plus faible. Et le temps passe. Et si Blanche se marie, je me brûlerai la cervelle. »

Ceci fut dit froidement et simplement. Étienne eut peur.

« Il fera jour demain ! murmura-t-il en manière de consolation. Nous finirons bien par avoir une idée…

— Il fera jour demain… répéta Maurice qui rêvait. »

Puis, après un silence :

« Ce ne sont pas les idées qui nous manquent. Qu’est-ce qu’une idée ? La même idée peut-être dieu, table ou cuvette, comme le bloc de la fable. Phidias en tirera Dieu, le marbrier dramatique y taillera l’éternelle cuvette où le boulevard enrhumé vide les marécages de son cerveau. Je ne veux pas déshonorer le marbre de Paros ; il n’est pas l’heure, pour moi, de toucher à l’idée qui me sacrera poète. Je le sais ! Je le sens ! Et pourtant, du fond de ma conscience, je puis m’écrier en me touchant le front : il y a quelque chose là ! Du rire et des larmes, entends-tu ? Ce qui donne déjà le succès, si ce n’est pas encore la gloire. Laisse-moi parler, je ne divague pas. Il faut se réfugier dans la fantaisie, qui est à l’art vrai ce que la lice des tournois est au champ de bataille… Tâche