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LES CONTES DE NOS PÈRES.

riette serait seule au monde… Qu’elle est belle, monsieur, et comme elle ressemble à sa mère !

Ce souvenir amena une larme dans les yeux de M. de Bazouge, et mit un nuage de rêveuse tristesse sur le front hautain du vicomte ; mais, secouant bientôt cette préoccupation, il prit à part son père et lui expliqua les motifs de son voyage. Les mesures de rigueur sévissaient de plus en plus par toute la France. Il avait profité d’un moment de répit et s’était mis en route le lendemain d’une victoire, pour déterminer son père à fuir en Angleterre.

— Je vous le demande, non point pour vous, monsieur, ajouta-t-il, mais pour cette pauvre enfant qui est notre seule joie et notre seul espoir… Refuserez-vous de lui sauver la vie ?

M. de Bazouge rejeta d’abord bien loin toute idée de fuite. Trop vieux pour combattre, il voulait du moins braver le danger dans le manoir de ses pères, mais le vicomte fut éloquent. La vue d’Henriette, qui souriait de loin et semblait implorer la permission de s’approcher, fit le reste.

— Viens, ma fille, viens, dit le vieillard attendri ; je tournerai le dos une fois en ma vie, mais tu vivras, et Dieu te donnera des jours meilleurs.

Toutes les mesures du vicomte étaient prises à l’avance. Il avait envoyé des gens sûrs à Granville pour préparer les moyens de passage, et sa suite, composée de six braves serviteurs, l’attendait sur la lisière de la forêt, prête à servir d’escorte aux fugitifs. Il fut résolu qu’on quitterait le château à la nuit. Et le vicomte, pour ne point éveiller les soupçons, rejoignit sa petite troupe qui se tenait cachée dans la maison abandonnée d’un garde. Lapierre fut chargé de mettre en état l’une des voitures qui gisaient, inutiles depuis