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LES CONTES DE NOS PÈRES.

paroles que nul n’aurait su comprendre ; une vague langueur voilait son regard qui suivait une lueur lointaine, brillant à travers les châtaigniers de la rive. Pendant cela, le bac, abandonné à lui-même, suivait impétueusement le courant. Les îles disparaissaient dans le brouillard des nuits, la lumière elle-même se cachait bientôt derrière l’arête d’un cap. Jouvente alors s’éveillait brusquement, comme si un lien mystique eût existé entre la lueur lointaine et son rêve. Il saisissait ses avirons et remontait le fleuve à force de rames. Puis, quand le cap doublé laissait voir de nouveau la lumière, Jouvente souriait doucement, et sa bouche se fronçait comme pour donner un baiser.

Arrivé au bord, il gagnait la plate-forme de sa tour, et, avant de s’étendre sur sa couche, il jetait un dernier regard vers la lumière qui, plus rapprochée maintenant, scintillait capricieusement entre les feuilles des arbres. Le plus souvent il demeurait bien longtemps à cette place, et, quand la lumière s’éteignait, Jouvente devenait triste et murmurait : — Bonsoir !

Il se couchait ; le sommeil venait lentement ; mais dès que sa paupière était close, sa bouche se prenait à sourire. On eût dit qu’une vision aimée descendait à son chevet pour enchanter ses nuits. — Il dormait et souriait ainsi jusqu’à ce que la rude voix d’un passager attardé vînt le jeter hors de son rêve.

À une portée d’arbalète de la tour de Jouvente, il y avait un modeste manoir habité par un vieillard et sa fille. Le vieillard se nommait Rostan du Bosc et sa fille avait nom Nielle. C’était une douce enfant qui soutenait pieusement dans la