met quelquefois deux ans à la bâtir : l’une est à moitié construite lorsque l’autre commence. On devine qu’une maison neuve est à Québec un événement surhumain, qui intéresse non-seulement le mortel privilégié qui la doit habiter, mais encore toute la ville qui la traite comme un témoignage irrécusable de sa prospérité aux yeux de l’étranger, comme un monument municipal. Le propriétaire devient un homme public et civique.
Québec ressemble en cela à un grand nombre de villes européennes, que les générations se transmettent intactes comme un dépôt sacré. Il n’y a pas une pierre de plus, mais aussi il n’y a pas une pierre de moins. L’enveloppe matérielle des souvenirs subsiste comme les souvenirs eux-mêmes. Le cadre du passé est toujours là pendu au mur de la réalité, même s’il est vide et si le passé est déchiré et oublié. Si les ancêtres, si les jeunes gens, les amoureux, les familles d’autrefois ressuscitaient, ils retrouveraient, à la même place, tout ce qu’ils ont laissé : la vieille maison où ils ont été heureux et où ils ont pleuré ; la fenêtre qu’ils ont si souvent regardée, le soir, le cœur tremblant, les yeux humides, l’âme émue, pour voir l’ombre de l’être aimé, sur les rideaux blancs ; le marteau de cuivre qu’ils ont souvent soulevé dix fois sans le laisser retomber. Les vieilles gens, en s’endormant pour toujours, ont encore devant les yeux les témoins muets de leur jeunesse si loin enfuie, les objets vieillis avec elles qui les entouraient au temps de l’espérance et des commencements.
La rue St. Jean a d’admirables succursales où les promeneurs sont à l’aise : la Plateforme, le Jardin du Gouverneur, l’Esplanade.
La Plateforme est le rendez-vous habituel des flâneurs. C’est là que les gens vont s’ouvrir l’appétit et digérer les bons dîners. À toute heure de la journée, il y a quelqu’un, un oisif qui se chauffe au soleil ou un penseur qui rafraîchit à la brise son front brûlant. On s’y rencontre le matin, on s’y retrouve