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Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/131

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La pluie qui tombe a flots depuis huit jours a trempé même les nouvelles, et vous ne serez pas surpris si, faute de sujet plus actuel, je vous dis un mot, un dernier mot, du pont de glace.

En allant sur la Plateforme, on est encore surpris de ne pas le voir devant la ville. Bien des gens croyaient qu’il passerait le mois de juillet auprès de nous, pour nous rafraîchir ou se réchauffer. On le traversait en calèche comme une route d’été ; il ne manquait qu’un peu de poussière autour des roues et dans les yeux pour que l’illusion fut complète. De mémoire de canotier, on ne l’avait vu si solide. Comme plus d’un homme bien posé, on le disait fort épais ; et la vérité est qu’il pesait sur les épaules de tout le monde. Chaque jour, des deux rives du fleuve, les populations irritées lui lançaient des injures. Impassible, il ne se donnait même pas la peine de leur faire souvenir qu’elles l’avaient appelé de tous leurs vœux, au mois de janvier, et qu’il n’était venu que sur leur invitation pressante et réitérée. Sous son air froid cependant, il était touché et préparait son départ.

Il a déménagé tout-à-coup, le premier mai au matin, comme un locataire qui n’a pas payé son terme et qui a peur qu’on retienne ses meubles en gage.

Depuis l’invention des bateaux à vapeur fendant la glace comme du beurre, le pont a perdu beaucoup de sa valeur. On peut se passer de lui aisément. S’il ne s’engage pas à partir quand sa présence gêne, il vaudrait peut-être mieux ne pas l’inviter à venir. C’est une question à débattre l’automne prochain.


Les déménagements se sont faits à la pluie cette année. Les meubles étaient mouillés jusqu’à la bourrure. D’ordinaire, il n’y a rien d’attrayant dans la vue d’une voiture de déménagement remplie de fauteuils renversés, de lits sens dessus dessous ; c’est l’envers de la vie domestique étalé au jour. Cette