l’École Normale, qui, comme on sait, donne sur la Plateforme. Le terrain envahi n’était que de quelques pieds de largeur et n’entamait point la promenade publique ; la clôture avait pour unique effet de dérober à la vue les dépendances de l’École, qui n’ont rien de pittoresque. Cette clôture prit sur les nerfs des flâneurs, les journaux se fâchèrent, une partie de la population s’emporta ; le bruit courut que l’on méditait de s’emparer de la Plateforme et de la réserver au service exclusif des élèves de l’École Normale. Enfin, un jour, une bande d’élégants émeutiers mit le siège devant l’ancien château, arracha la clôture et, après l’avoir violemment secouée, la précipita en bas du Cap. Les habitants du quartier Champlain reçurent ce cadeau avec reconnaissance ; et, durant une quinzaine, à l’heure du souper, on entendit pétiller le bois du gouvernement dans tous les poêles de la rue Champlain.
Le jour où il y a musique militaire, le Jardin du Gouverneur relègue la Plateforme dans l’ombre. La foule élégante se porte au Jardin ; les toilettes nouvelles s’y montrent pour la première fois et y reçoivent les feux de la critique : celles qui restent maîtresses du terrain dictent les modes de la saison. Le chapeau victorieux passe sur toutes les têtes. En vain, les maris détournent le regard pour ne pas voir ce point fascinateur : le lendemain, ils le trouvent au sommet de leurs femmes, avec une note de la modiste du jour au bout des attaches. C’est au Jardin aussi que les jeunes clercs de l’élégance font leur début et marchent, en vêtement court, sur les traces des dandys.
Quant au monument de Wolfe et Montcalm, placé comme une sentinelle à la porte du Jardin, il menace ruine, et il pourrait bien, un de ces jours, déserter son poste d’honneur.
L’Esplanade est réservée aux élèves de l’École Militaire qui aiment à s’y asseoir sur les affûts de canon, afin de rêver à leur aise aux victoires et conquêtes de la future Confédération canadienne.