Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/167

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Puis, il s’est lié avec un ambassadeur à Washington, qui lui a communiqué les dépêches de son gouvernement, et avec un banquier de la Nouvelle-Orléans, qui lui a fait des offres de service. Du reste, tous les employés le connaissent à bord : il voyage si souvent. On lui réserve la meilleure chambre ; à table, on le place près de la plus jolie femme.

Aussi, quand on le voit s’embarquer, tous les habitués du quai, tous les familiers de la compagnie du Richelieu se disent : On s’amusera à bord ce soir. Et tous ceux que des affaires pressantes ne retiennent pas en ville, le suivent au moins jusqu’aux Trois-Rivières.

Son passage est signalé d’avance chez Farmer, et le bateau n’a pas dépassé Batiscan que déjà on y trinque en son honneur. Il parait du reste qu’un verre chez Farmer vaut le voyage. De plus, il y a toujours, dans le salon de cet hôtel hospitalier, un touriste qui joue du piano en attendant le vapeur. Le signe particulier des Trois-Rivières, c’est qu’on y trouve toute l’année un piano qui remue. On n’y est jamais privé complètement de musique. C’est là que les chanteurs en peine viennent donner leur dernier concert. L’hiver, on joue du piano pour se réchauffer ; l’été, pour se rafraîchir.

Il est rare que le plaisir qu’on a éprouvé aux Trois-Rivières, n’inspire pas l’envie de voir Sorel. Même à trois heures du matin, il y a encore des gens qui y attendent le bateau, et on y trouve facilement avec qui trinquer.

Et quand on a veillé jusqu’à Sorel, il est vraiment trop tard pour se coucher : on attend Montréal pour dormir.


Mais je reprends le chemin de la campagne.

Je dois avouer que le trajet n’offrit aucun incident remarquable. Le Grand Tronc suspend, l’été, la série de ses déraillements, pour les reprendre l’hiver. C’est une faveur que l’on fait aux étrangers. On ne veut pas violer à leur égard les lois