Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/174

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Il vous a fallu bien de l’habileté pour empêcher ces fâcheux souvenirs de retomber sur moi. J’ai hâte de voir le compte des frais ; il doit être dodu. Tous avez bien fait de graisser la patte du notaire G. ; c’est la plus mauvaise langue de l’endroit. Quand il commence sur le compte de quelqu’un, il ne finit plus. Tous les matins il y a du neuf ; il découvre ça en dormant. Or, il connaît tous les méfaits de mon oncle qui lui a tué son père en quatre heures d’un traitement qui aurait couché à terre un géant. Il nous aurait fait un mal incalculable. Si cher donc que vous l’ayez payé, c’est encore une économie.

Vous allez maintenant entamer la paroisse de Y. ; il faut commencer par les morceaux les plus durs. Je connais bien ce hameau, où j’allais passer mes vacances, étant écolier, chez une vieille cousine de ma mère. J’ai souvent joué et même fait le coup de poing, sur la place devant l’église, avec les gamins qui vont devenir mes électeurs. Il y en avait qui tapaient dur. Ils jouissaient auprès de leurs camarades, d’un grand crédit, qu’ils ont dû conserver. Il faudra que je m’efforce de les reconnaître. Il n’y a rien qui flatte les gens comme ça : « Tiens, c’est toi ! ta figure n’a pas changé. Tu me fais songer à la petite Madeleine qui te trouvait si beau et qui m’appelait époitriné ? »

Dans mon premier discours, je jouerai un air sentimental sur cette corde ; en attendant, faites-la vibrer. Il paraît qu’il y a deux grandes influences à Y. : le Dr. Joseph Boisée, qui vide son flacon de gin tous les jours, et M. Léon Serveille, le marchand, dont la femme rêve d’aller demeurer en ville.

C’est par sa bouteille de gin qu’il faut prendre le docteur et par sa femme qu’il faut gagner Serveille.

Faites entendre au premier que j’ai une cave de premier ordre et qu’il n’en sort jamais que du vin de la meilleure qualité ; que je tiens table ouverte pour mes amis et que mon