Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/198

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Je crois avoir lu quelque part que Dunn allait en Europe pour rétablir sa santé, épuisée par les grands travaux du journalisme.

J’ignore si la chose vous a frappé ; mais il n’en est pas moins certain que les journaux, en général, lorsqu’ils annoncent le départ d’un de nos compatriotes pour l’Europe, se croient obligés d’ajouter que c’est pour des raisons de santé ou pour affaires commerciales : comme si l’on ne pouvait franchir l’océan pour autre chose que pour aller prendre les eaux à Vichy ou acheter des soieries à Lyon !

Lorsque je suis allé en Europe, les journaux, amis de ma famille, n’ont pas failli à leur mission. On les vit annoncer à leurs lecteurs, — en quelques mots bien sentis, — que je passais les mers afin de me remettre de la prostration physique, suite cruelle et inévitable des labeurs auxquels je m’étais livré pour passer mes examens d’avocat.

S’il n’est pas trop tard, je démens cette version inexacte. Le fait est que, de longtemps, je n’avais moins étudié et que jamais ma santé n’avait été meilleure.

N’importe, cet entrefilet propagea parmi mes connaissances la fausse nouvelle que j’allais me choisir un tombeau au Père Lachaise. Un quart d’heure avant le départ du vapeur, je vis accourir un de mes anciens camarades de collège.

— Je viens te serrer une dernière fois la main, me dit-il en appuyant involontairement sur dernière fois, et en me regardant de façon à se graver tous mes traits dans la mémoire.

— Comment une dernière fois ! lui dis-je. Nous nous reverrons bientôt, dans un an.

— Oui, oui ; aussi je ne te dis pas adieu, mais au revoir. Tous tes amis espèrent… croient… que tu reverras la terre natale.

— Mais j’en suis sûr, moi. Sans cela, je ne partirais pas, sois-en bien persuadé.

— Tant mieux alors…