Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/75

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pour les empêcher de pénétrer, durant la nuit, dans les chambres à coucher, sont les premiers à en rire sans se gêner. Quand maintenant on veut désigner un homme qui n’arrive pas là où on l’attend, on l’appelle un Fénien. Le mot froisse quelquefois les gens susceptibles, mais n’effraie plus les gens timorés.

Ceux de nos confrères qui s’étaient si fort scandalisés de notre attitude, ont opéré tout doucement volte-face. Ils en sont venus à se moquer de ceux qui ont pris l’alarme en voyant le gouvernement faire lever les volontaires la nuit et donner ordre de barricader la porte St. Jean. Ils ne peuvent concevoir surtout que les gens se soient mis en tête que la St. Patrice serait une St. Barthélémy. C’est précisément la dernière journée que les Irlandais eussent choisie pour faire un esclandre. Auraient-ils d’ailleurs marqué d’avance, à la craie, le jour fatal ?

C’est bien raisonner, mais il eût mieux valu encore raisonner ainsi avant l’événement.


La veille de la St. Patrice, il y a bien des gens qui n’ont dormi que d’un œil. Tandis que l’un des deux yeux était fermé, l’autre regardait du côté de la frontière et surveillait l’ennemi. De temps à autre, le dormeur inquiet croyait entendre le bruit d’une fusillade ou la voix du canon d’alarme. Il mettait un pied hors du lit ; mais, comme le froid seul le saisissait, il le rappelait bientôt sous les draps.

La St. Patrice a été une belle journée, calme et sereine. Le soleil brillait de tout son éclat, et les figures irlandaises avaient un air de calme réjoui qui rassurait les passants, mais qui n’était pas sans une nuance d’ironie à l’adresse du gouvernement. Jamais fête nationale n’a été chômée si tranquillement ; on n’a point vu un seul homme ivre de patriotisme, ni même une seule tête un peu échauffée par les rayons du jour. C’é-