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Un déménagement, c’est comme une bataille ; il y a invariablement des morts et des blessés. En vain, le propriétaire lutte pour protéger contre les coups du sort sa table à dîner, le piano de sa femme, la berceuse de ses enfants, le fauteuil des aïeux ; ce sont les objets auxquels il tient le plus qui sont les premiers éclopés.

Connaît-on rien de plus navrant qu’un intérieur de maison étalé au milieu d’une rue ? C’est comme si l’on se promenait avec son habit à l’envers. On voit les coutures du luxe.

Les meubles sont entassés dans les voitures de déménagement, non plus dans le bel ordre et la position favorable que leur donnait, dans son appartement, la main savante de la maîtresse de la maison ; mais pêle-mêle, la cuisine à côté du salon, le grenier près du boudoir. Que de choses dans une résidence élégante, empruntent le meilleur de leur éclat à la façon dont elles sont placées et au demi-jour qui les éclaire ! Ce petit théâtre dont chaque scène est soigneusement arrangée et combinée pour tromper l’œil et faire le plus d’effet possible, vous le revoyez ici, pièce à pièce, démonté, démodé. Chaque meuble, séparé de son entourage, sorti de son cadre, a l’air plus vieux que son âge et plus laid que nature.

Ce tapis, dont les fleurs vous éblouissaient encore, est usé jusqu’à la corde.

Ce large et commode fauteuil où vous étiez si bien assis, a perdu un pied qui lui a été mal remis.

Ce vaste buffet, qui recelait de si bonnes choses, a l’air d’un château branlant.

Ce poële de cuisine, où tout rôtit à point, date du siècle dernier.

Il en coûte toujours de quitter un logement où vous avez vécu un an, deux ans, trois ans, lors même que le logement serait vieux et le loyer trop cher. Les années perdues ne se regagnent pas, et vous avez beau changer de cadre, votre portrait ne rajeunit point. L’homme s’attache à tout : à la fenêtre